
Après des semaines d’anticipation, Kamel Daoud a reçu le prix Goncourt le lundi 4 novembre pour son roman Houris (Gallimard, 416 p., 23 €). Ce troisième roman, d’une puissance saisissante par son lyrisme noir et grave, donne la parole à Aube, une jeune femme rendue muette par l’égorgement raté dont elle a été victime à cinq ans pendant la « décennie noire » en Algérie.
Que représente pour vous le fait d’être le premier écrivain algérien à recevoir le prix Goncourt, dans un contexte de tensions politiques et mémorielles avec la France ?
En tant qu’enfant de l’Algérie, de son école et de ses ambitions, ce prix est très significatif. C’est une réussite personnelle, mais aussi un signal fort pour les écrivains algériens en herbe, souvent intimidés par certains courants politiques. Il est important pour eux de savoir qu’écrire un livre peut avoir un dénouement heureux.
Quant au contexte, je suis un écrivain, pas un politicien. Un livre incite à l’imagination et à l’espoir. Il ne change pas le monde, mais s’il est largement lu, il peut devenir un instrument, un message. J’espère que ce livre fera découvrir en Occident le prix des libertés, en particulier pour les femmes, et qu’il fera comprendre en Algérie que nous devons affronter toute notre histoire, sans fétichiser une partie au détriment de l’autre.
Vous dénoncez souvent l’aveuglement de la France face à la montée de l’islamisme et de l’islam politique. Espérez-vous que le Goncourt puisse avoir un impact sur cette situation ?
Ce sont les lecteurs qui déterminent le retentissement d’un livre. En tant qu’écrivain, chroniqueur, journaliste et Algérien, j’espère qu’il nous ouvrira les yeux. J’ai l’impression d’être dans une situation similaire à celle des écrivains soviétiques qui dénonçaient le goulag à une époque où l’Occident chantait les louanges du communisme. Il fallait que quelqu’un dise que la détestation de l’impérialisme n’effaçait pas l’existence du goulag.
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