Le lac de Grand-Lieu, une réserve ultra-protégée et pourtant menacée

Le lac de Grand-Lieu, une réserve ultra-protégée et pourtant menacée

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Il est 7h30 du matin sur le lac de Grand-Lieu, situé à une vingtaine de kilomètres au sud de Nantes, en Loire-Atlantique. Jean-René et Fabien Richard, père et fils, se tiennent debout sur leur barque à fond plat. A leurs côtés, Vago, le chien, truffe au vent. Le moteur du bateau démarre sous la brume matinale, et c’est Jean-René, 75 ans, qui prend les commandes. «Je suis né ici, j’ai grandi et vécu toute ma vie sur les bords du lac. Cet endroit fait partie de moi», confie-t-il.

Nous dépassons quelques ragondins et empruntons un petit bras d’eau, cernés par la végétation dense et à moitié immergée. Jean-René, bonnet bien enfoncé sur la tête, regard fixé au loin, pousse le moteur. Fabien, 45 ans, en grande salopette imperméable jaune et armé de gants bleus, s’affaire à installer les caisses pour le poisson.

Le paysage s’ouvre. Une immense étendue d’eau se déploie sous nos yeux, bordée de roselières et survolée par des nuées d’oiseaux dans un ciel teinté de rose. Là-bas, une silhouette se détache au milieu de la verdure des plantes aquatiques : c’est une spatule blanche, grand échassier emblématique du lieu. Vago l’a repérée, il lui aboie dessus, même pas peur.

50 000 oiseaux en hiver

Jean-René et Fabien Richard font partie des rares humains à pénétrer dans cette zone humide qui peut atteindre près de 60 km² en hiver, presque la taille de Nantes, la ville voisine. Depuis des générations, les Richard sont parmi les rares pêcheurs traditionnels à exercer sur le lac de Grand-Lieu, côtoyant quotidiennement une faune aviaire exceptionnelle : grands échassiers, canards migrateurs, mouettes, grèbes… Un site de valeur internationale pour sa biodiversité où près de 50 000 oiseaux se rassemblent lors de la saison hivernale.

Les pêcheurs du lac, organisés en coopérative au village de Passay, ne sont plus que sept à maintenir cette pêche artisanale, un savoir-faire transmis de père en fils. Bien qu’à la retraite, Jean-René Richard vient chaque semaine prêter main-forte à son fils Fabien pour relever les filets, perpétuant ainsi la tradition familiale. «C’est plus facile à deux», commente Fabien, indiquant à son père l’endroit où il a installé ses filets deux jours plus tôt.

Si le lac de Grand-Lieu est aujourd’hui une réserve naturelle nationale, c’est en grande partie grâce au parfumeur Jean-Pierre Guerlain. En 1980, alors propriétaire d’une vaste partie des terres, il décide de les léguer à l’Etat, à une condition stricte : que ce joyau soit protégé pour toujours et que les pêcheurs puissent continuer à y exercer.

Prolifération de microalgues

Pêche du jour pour les Richard : anguilles, brochets, sandres, poissons-chats, une grande quantité de brèmes et énormément d’écrevisses de Louisiane. «Il y en a beaucoup, et nous n’avons ni consignes ni matériel pour les éliminer», soupire Fabien Richard.

Trois espèces invasives posent actuellement un réel défi pour l’écosystème du lac. Les écrevisses de Louisiane, venues d’Amérique, grignotent la végétation et perturbent les habitats aquatiques. Les ragondins dévorent les roseaux et fragilisent les berges avec leurs terriers. La jussie, plante aquatique envahissante, colonise les eaux et étouffe les plantes locales.

Alors que nous discutons de ces nuisances, un vrombissement couvre nos voix. Ce n’est pas un moteur de bateau, mais l’avion d’une compagnie low-cost qui passe au-dessus de nos têtes. L’aéroport de Nantes est tout proche, rappelant que malgré son statut de sanctuaire, le lac reste connecté au reste du monde et en subit les conséquences.

Après cette sortie matinale, nous rencontrons Jean-Marc Gilliet à Bouaye, de l’autre côté du lac. La gestion du lac de Grand-Lieu a été confiée à la Société nationale de protection de la nature (SNPN) par l’Etat, dans le cadre de son classement en réserve naturelle nationale. Jean-Marc Gilliet est directeur de la réserve depuis quinze ans. «La qualité de l’eau est la clé de tout ici», observe-t-il. Cruciale pour l’écosystème, elle est aujourd’hui très mauvaise. Le lac, situé en aval d’un bassin-versant de 840 km², reçoit les apports des rivières environnantes : le Boulogne, l’Ognon, l’Acheneau et le Tenu. Les ruissellements des terres agricoles apportent nitrates et phosphates en quantité excessive.

Cette saturation en nutriments ou «eutrophisation» déclenche une prolifération de microalgues et de cyanobactéries, qui colorent et opacifient l’eau. Résultat : l’oxygénation de l’eau diminue, les plantes subaquatiques disparaissent, et les algues prolifèrent. Pis encore, les cyanobactéries produisent une toxine nocive pour la faune locale. Il y a deux ans, deux loutres mortes ont été découvertes à quelques mètres l’une de l’autre. Les investigations ont révélé une possible intoxication par les cyanobactéries.

Un petit rayon d’espoir

Et la dégradation de l’eau s’accélère. «Il y a dix ans, on observait encore quelques améliorations, mais depuis cinq ans, tout se détériore vite, soupire Jean-Marc Gilliet. Même dans cet espace ultra-protégé, la situation se dégrade. Ce lac offre un paysage grandiose, mais il est malheureusement menacé.»

A la Maison du lac, gérée par le département de Loire-Atlantique, le directeur, Olivier Hubert, et son équipe sensibilisent les visiteurs à la fragilité de cet écosystème unique, labellisé Ramsar, un label international pour la gestion durable des zones humides. Les animations y sont variées : ateliers pour enfants, exposition interactive, visite d’un poste d’observation, de prairies humides… Récemment, des journées pour sensibiliser les décideurs locaux ont vu le jour. «Il est crucial que les élus et les acteurs économiques prennent en compte la réalité du terrain», insiste le responsable. Chaque année, de 10 000 à 12 000 personnes visitent la Maison du lac.

Renouvelé tous les dix ans, un nouveau plan de sauvegarde du lac par la SNPN sera mis en place en 2027. Parmi les pistes envisagées, «la protection des espaces les plus sensibles du lac, la gestion des espèces invasives et l’adaptation aux impacts du réchauffement climatique», explique Jean-Marc Gilliet.

Au milieu des défis, un petit rayon d’espoir pour les équipes : des traces de castor, une espèce jadis disparue de la région, ont été observées en octobre aux abords du lac. Un témoignage prometteur que la nature, lorsqu’elle est préservée, peut encore offrir quelques bonnes surprises.

Libération

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