Romina De Novellis, à corps perdu

Romina De Novellis, à corps perdu

Главная страница » Romina De Novellis, à corps perdu
Quelle culture pour quel futur ?dossier

A Beaubourg, à l’occasion du forum Biodiversité : quelle culture pour quel futur ?, l’artiste italienne présente, au milieu de tomates, une performance douce-amère qui dénonce les archétypes nationaux et sexistes.

Romina De Novellis nous accueille boulevard de Strasbourg, à Paris, dans son atelier qui jouxte les locaux de l’association qu’elle a fondée, Atelier Essenza. S’y croisent des praticiens en Gyrotonic (une méthode d’entraînement douce combinant respirations et étirements), des ostéopathes, des acupuncteurs. Ce rapprochement des mondes de l’art et du soin n’est pas anecdotique : ancienne danseuse dont la carrière a été brisée par un accident de scooter, Romina De Novellis a placé le corps au cœur de sa démarche d’artiste. En l’aidant à recouvrir l’usage de ses jambes, la méthode Gyrotonic l’a «sauvée» et elle la pratique encore tous les jours, explique-t-elle en passant par une salle équipée d’appareils en bois lestés de contrepoids avant d’entrer dans son petit atelier.

Là, quelques photos et des éléments de décor témoignent de ses performances passées. Parmi elles, une sculpture immortalisant sa marche, rituelle et cathartique, dans les ruines de Pompéi, nue et traînant un chariot grinçant (Gradiva, 2017) ; des photographies de Bella Ciao (2023), où elle est assise, impavide, entourée de kilos de pommes de terre ; ou encore la cage de La Gabbia (2012-2019), où elle s’enferme, nue une fois encore, recouvrant patiemment les parois grillagées avec des roses blanches ce qui la soustrait peu à peu aux regards. «Une femme captive, exposée comme un cochon, prête à consommer. C’est ça, la vérité. Romina met le doigt sur ce qui dérange», salue la galeriste Alberta Pane, qui accompagne la plasticienne depuis plus de dix ans.

A Beaubourg, à l’occasion du forum Biodiversité : quelle culture pour quel futur ?, Romina De Novellis présente une nouvelle performance baptisée Star – 100 % origine italienne, du nom d’une des marques de sauce tomate industrielle les plus populaires dans la péninsule, même si, ironie de l’histoire, l’entreprise est désormais chinoise. Dans ce tableau vivant «au goût amer», Romina De Novellis apparaîtra une journée durant en pin-up décadente, entourée de tomates étincelantes. L’artiste a choisi d’exhiber ce symbole de la gastronomie italienne, qui n’a pourtant rien d’italien, pour dénoncer un cliché coupable : «A travers ce vernis sexy, l’industrie agroalimentaire et la mafia recourent à l’exploitation des migrants pour vendre un produit que tout le monde achète et mange sans se poser de question.»

C’est au sein de Domus, la résidence pour artistes et commissaires d’exposition qu’elle a créé il y a six ans à Galatina, dans les Pouilles italiennes, que Romina De Novellis a commencé à travailler sur ce fruit moins reluisant qu’il n’y paraît. Anthropologue de formation, la jeune femme a gardé le goût des recherches collectives et du terrain. Pour nourrir son projet, elle a rencontré des sociologues, des activistes d’associations d’aide aux exilés, des ouvriers de la cueillette. Révoltée par la perversité et la corruption de cet «empire de l’or rouge», comme le nomme le journaliste et auteur Jean-Baptiste Malet, elle plante sans détour l’envers du décor du pomodoro (tomate, en italien) «récolté par des esclaves dans le sud du pays, où la gestion des migrants est abandonnée par l’Etat. C’est le Far-West, la loi du plus fort».

De La Gabbia à Star 100 % origine italienne, Romina De Novellis joue d’une séduction superficielle (la brillance d’un fruit, une chevelure de jais) pour exposer l’imposture des archétypes. Sans doute en partie parce qu’elle a souffert d’en incarner un, tenace et destructeur : celui de la femme italienne, belle, brune, désirable. A travers son corps, l’artiste confronte le public à l’obscénité et au machisme du voyeur. Et exhibe une culture patriarcale tellement enracinée qu’on ne la décèle parfois même plus. Ses gestes répétitifs, sa force de concentration, son regard touchent bien au-delà du public de l’art, observe Alberta Pane : «On se reconnaît dans ses performances, on y est percé à jour.»

Jeune fille, Romina De Novellis est parvenue à se libérer d’un père violeur et d’une mère complice. Jeune femme, elle échappe au handicap auquel la condamnait son accident de scooter. L’artiste parle de sa «chance», mais aussi de son «endurance». Six mois après cet événement traumatique, elle réussit à se remettre debout. Le retour de la marche prendra dix-huit mois de plus. En 2007, elle quitte l’Italie – «Je n’en pouvais plus de ce pays» –, et subit, jusqu’en 2009, des opérations de reconstruction. Aujourd’hui, fière de sa liberté retrouvée, elle regrette qu’on ne reconnaisse pas le statut de handicapée aux femmes victimes de violence qui portent pourtant des stigmates gigantesques.

Mais qu’on ne s’y trompe pas. Pour Romina De Novellis, «l’art ne soigne pas». Elle juge préférable que la maladie et le handicap soient associés à quelque chose à la fois plus banal et plus précis que l’art : la médecine, tout simplement. «Un soin pour un symptôme», tranche celle qui s’agace de cette tendance à voir dans chaque femme une sauveuse en puissance de mère nature, une sorcière soignante. «Je ne veux pas de ce rôle-là ! La femme a du pouvoir lorsqu’elle peut faire les mêmes choses que l’homme, point.»

A Beaubourg, gageons que le public apercevra d’abord une femme belle et pulpeuse, à l’image des fruits qui l’entourent, avant qu’une certaine étrangeté pointe. «Me mettre à nu, c’est la seule manière pour moi de me réapproprier ce cliché que j’incarne, de reconquérir un espace de sécurité avec mon corps», dit-elle. Cette nouvelle œuvre Star 100 % origine italienne est pensée comme une résistance à l’apparence, à cette manière très répandue de rester à la surface des choses et des êtres. Photogéniques, les performances de Romina De Novellis créent un effet de contraste malaisant une fois que la joliesse anodine aperçue au premier regard laisse entrevoir des abîmes de noirceur. «J’ai une histoire qui n’est pas douce, dit l’artiste. Alors quand j’apparais comme je suis, d’abord ça plaît, et puis ça ne plaît plus.»

Star – 100 % d’origine italienne, performance de Romina De Novellis, le vendredi 22 novembre, de 11 heures à 18 heures, au Centre Pompidou, à Paris.

Libération

Post navigation

Leave a Comment

Schreibe einen Kommentar

Deine E-Mail-Adresse wird nicht veröffentlicht. Erforderliche Felder sind mit * markiert

Madrid, un laboratoire de l’ultralibéralisme

Il n’est pas certain que Kylian Mbappé profite de la nouvelle réduction d’impôt approuvée le 14 novembre par la région autonome de Madrid. Cela n’a pas empêché les médias espagnols…