Décryptage
Alors que Paris dénonce la signature de cet accord de libre-échange avec plusieurs pays d’Amérique du Sud, d’autres pays membres de l’Union européenne émettent également leur réserve. A l’inverse, certains y sont favorables. «Libération» fait le point.
D’Agen à Beauvais, de la frontière espagnole à Valence, la colère des agriculteurs français gronde à travers tout le pays. Derrière les camions de lisier déversés devant des préfectures et les ronds-points occupés, une revendication centrale : le rejet de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur. Ce projet de traité en négociations depuis 20 ans, qui entend faciliter les échanges commerciaux de produits agricoles entre le vieux continent et cinq pays de l’Amérique du Sud (le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay, le Paraguay et la Bolivie), suscite l’inquiétude des agriculteurs sur des conditions de concurrence jugées déloyales.
Toute la classe politique française, de gauche à droite, souhaite également faire avorter le projet. Emmanuel Macron comme Michel Barnier expliquent ne pas vouloir signer l’accord avec les pays sud-américains «en l’état». Et dans le reste de l’Europe aussi, d’autres gouvernements émettent leur réserve sur ce traité, comme la Pologne ou l’Italie. A l’inverse, d’autres pays, à l’image de l’Espagne ou l’Allemagne, ne sont pas alignés sur la position française. Libé vous propose un tour d’horizon des positions de chacun.
Avant tout, comment l’accord du Mercosur pourrait-il être bloqué ?
Dans le but de rallier d’autres Etats à sa cause, et donc de se prononcer contre l’accord du Mercosur, la ministre de l’Agriculture française, Annie Genevard, a expliqué que Paris menait en ce moment un «intense travail diplomatique». Son but : «constituer une minorité de blocage, qui doit être composée d’au moins quatre Etats membres, représentant au moins 35 % de la population de l’Union européenne, explique à Libération Elvire Fabry, chercheuse à l’Institut Jacques-Delors. Car, comme tout ce qui ne relève que des compétences exclusives de l’UE – ici, les compétences commerciales et douanières – cet accord doit être ratifié par un vote à la majorité qualifiée, dans lequel il n’y a pas de droit de véto pour bloquer tout le processus.» La France, qui représente 15 % de la population de l’Union Européenne, doit alors essayer «d’en convaincre 20 % de plus», ajoute la spécialiste de la géopolitique du commerce.
Dans le camp du «contre», l’Italie et la Pologne font figure d’Etats clés
Si rares sont les pays aussi véhéments que la France sur la question, certains émettent malgré tout des critiques sur cet accord «Viande contre voitures». L’Italie et ses près de 60 millions d’habitants a ainsi émis un signal favorable au rejet du projet ce lundi 18 novembre. Le ministre de l’Agriculture Francesco Lollobrigida s’est en effet prononcé contre l’accord sous sa forme actuelle, exigeant que les agriculteurs du Mercosur soient soumis aux mêmes «obligations» que ceux de l’UE. «Le traité UE-Mercosur sous sa forme actuelle n’est pas acceptable», a-t-il estimé dans un communiqué. «Obtenir la voix de l’Italie, Etat également très focalisé sur la question agricole, sera alors décisif pour la France : le pays compte 13% de la population européenne et a un poids important au sein de l’Union européenne», note Elvire Fabry.
La Pologne et ses 36 millions d’habitants – soit 8 % de la population de l’UE – a elle aussi exprimé ses «sérieuses réserves» sur l’accord commercial, qui se fera «aux dépens de la plupart des segments de la production agroalimentaire», selon son ministre de l’Agriculture. «Le secteur agricole pèse largement dans l’économie polonaise, mais il se trouve en ce moment affaibli par les importations des biens agricoles ukrainiens destinées à soutenir l’effort de guerre. Le pays pourrait donc rejoindre la France si cela lui permet d’avoir des garanties du côté de cette frontière», relève la chercheuse, qui ajoute que «l’opposition de la France, de l’Italie, de la Pologne et de l’Autriche» pourraient suffire à réunir une minorité de blocage et faire échouer la ratification d’un accord avec le Mercosur.
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«L’Autriche et l’Irlande pourraient également se prononcer contre cet accord», poursuit Elvire Fabry, qui ajoute toutefois que «rien n’est figé». «Même si Dublin s’était initialement rallié à la position française, le pays reste traditionnellement un pays très pro commerce et ouvert aux accords de libre-échange», remarque-t-elle.
Dans le camp des «pour» : l’Allemagne, l’Espagne et le Portugal
A l’opposé de ces positions, d’autres pays défendent ardemment le projet, notamment ceux pour qui le secteur industriel représente une partie importante de leur économie. C’est par exemple le cas de l’Allemagne, poids lourd sur la scène européenne, «pour qui l’agriculture n’a pas la même importance économique – et politique – que la France», remarque Olivier Costa, directeur de recherche au CNRS spécialisé sur l’Union européenne. Berlin, qui «possède une économie d’exportation de produits manufacturés», espère ainsi obtenir avec cet accord des «nouveaux débouchés commerciaux», ajoute-t-il. Et l’expert de poursuivre : «Avec la guerre en Ukraine, la politique protectionniste de Trump à venir ou encore la guerre commerciale avec la Chine, il y a une sorte d’urgence de certains pays à signer cet accord.»
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En Espagne, le gouvernement du Premier ministre socialiste Pedro Sánchez s’est lui aussi prononcé pour. Il est «nécessaire stratégiquement», assurait mi-octobre le ministre de l’Agriculture Luis Planas. «L’Espagne, mais aussi le Portugal, a toujours eu des échanges privilégiés avec l’Amérique du Sud pour des raisons culturelles», remarque Olivier Costa.
Enfin, même si les Pays-Bas se trouvent sur «une liste qu’essaie de mobiliser Emmanuel Macron», «c’est un des Etats membres qui dépend le plus au niveau européen du commerce international», souligne Elvire Fabry. Un pays «fondamentalement libre-échangiste» qui a donc beaucoup plus de chances de se prononcer pour le Mercosur. «Et ce d’autant plus dans le contexte où les futurs droits de douanes annoncés par Trump appelle à diversifier les pays d’exportation», conclut la chercheuse.
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