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Décryptage
Une douzaine de personnes sont tombées malades après une soirée à Vang Vieng le 12 novembre, six sont décédées à ce stade. Le méthanol, souvent utilisé illégalement pour couper les boissons alcoolisées, est suspecté.
Une soirée à Vang Vieng, ville du centre du Laos devenue étape incontournable dans le circuit routard d’Asie du Sud-Est, se transforme en cauchemar depuis quelques jours. D’après des informations de presse, un groupe d’une douzaine de touristes est tombé malade le 12 novembre à la suite d’un événement festif. A ce jour, six d’entre eux sont morts – deux Danois, deux Australiennes, une Britannique et un Américain. Des zones d’ombre demeurent sur les circonstances de ces décès mais les regards se tournent vers le méthanol. Ce composé normalement utilisé dans l’industrie est parfois également ajouté illégalement dans des boissons alcoolisées. Libé fait le point sur cette substance et ses dangers.
C’est quoi le méthanol ?
Son nom ressemble à l’éthanol, la molécule qu’on retrouve dans les boissons alcoolisées, et pour cause : il est lui aussi un alcool. Aussi appelé «alcool de bois», le méthanol se présente sous la forme d’un liquide «incolore», «d’odeur plutôt agréable quand il est pur» – il s’en dégage des notes sucrées -, et il est «miscible à l’eau», comme le décrit l’INRS, l’agence de la Sécurité sociale spécialisée dans les risques au travail. Cette substance est normalement utilisée dans l’industrie chimique : on la retrouve dans la fabrication de liquides antigel, lave-glace et autres produits de nettoyage, de peintures, encres ou colorants. Il s’installe aussi, depuis quelques années, comme composé de biocarburants. On peut également le retrouver naturellement dans certains fruits et légumes, ainsi que certaines boissons fermentées – ce qui explique pourquoi on peut en détecter dans notre organisme en de très petites quantités.
Quels sont les symptômes d’une intoxication ?
«Il suffit d’à peine 10 ml (soit deux cuillères à café) pour entraîner une cécité, et 30 ml (soit une gorgée) ou plus peut être mortelle», prévient Médecins sans Frontières. Pourtant, «le méthanol n’est pas toxique en soi» : il devient dangereux quand notre organisme le métabolise. Lorsqu’on l’ingère, il finit par se transformer en acide formique, une substance hautement toxique. Elle empoisonne notamment les mitochondries, qui jouent un rôle central dans le fonctionnement des cellules – la «respiration cellulaire».
Il peut se passer un petit temps avant que les symptômes d’une intoxication n’apparaissent, généralement «de 10 à 48 heures selon la dose ingérée», précise l’INRS. Ils sont surtout très variés : ils vont des nausées, vomissements, maux de ventres et de tête aux vertiges, convulsions, hyperventilations, pertes de conscience en passant par des troubles de la vision – qui peuvent aller jusqu’à une cécité permanente. Ils durent généralement quelques jours, si la personne survit. «Après une intoxication sévère, la récupération peut être totale, mais les séquelles oculaires sont relativement fréquentes», indique pour sa part l’INRS.
Le problème, c’est que ces maux peuvent être confondus avec une simple gueule de bois comme une crise cardiaque ou un AVC. Ce qui ralentit souvent le diagnostic. Or plus l’administration du traitement tarde, plus le pronostic sera engagé : sans traitement spécifique, les personnes intoxiquées risquent de tomber dans le coma et mourir en l’espace de quelques jours.
Comment peut-il se retrouver dans des boissons ?
«La majorité des cas d’intoxication au méthanol surviennent à la suite d’une ingestion de boissons alcoolisées frelatées.», rappelle Médecins sans Frontières, qui fait partie avec l’Université d’Oslo de l’association Mpi (pour Methanol poisoning initiative). Car le méthanol a un intérêt de taille par rapport à l’éthanol : il est moins cher. Surtout, contrairement à l’eau, il peut se dissoudre dans son cousin sans que sa présence ne soit facilement détectable. Il est donc tentant de les mélanger pour baisser le coût des boissons ou les rendre plus puissantes : l’opération est illégale, on parle d’alcool frelaté. «Ethanol et méthanol sont tous deux des liquides incolores qui se dissolvent dans l’eau. Il est impossible de les différencier avant de les consommer», souligne encore l’ONG.
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Ainsi en 2023, le Mpi a détecté 60 cas rapportés d’empoisonnement, la majorité en Asie. Depuis sa création en 2012, elle a comptabilisé 714 cas, dont 43 % mortels (soit 309 morts). Elle signale que des empoisonnements au méthanol contenu dans des bouteilles d’alcool sont suspectés d’avoir tué une soixantaine de personnes au Bihar, dans le nord de l’Inde, en octobre dernier.
Y a-t-il un traitement ?
Le traitement consiste surtout en des soins de soutien, notamment pour aider le patient à respirer (en l’intubant ou le ventilant). «Le traitement peut également impliquer des médicaments, notamment le fomépizole (qui inhibe la production d’acide formique toxique) et la dialyse pour éliminer le méthanol et ses métabolites de l’organisme», précise Ian Musgrav, pharmacologue à l’Université d’Adelaide dans The Conversation. «Le fomépizole est un antidote efficace en cas d’intoxication au méthanol, mais n’est pas disponible dans la plupart des pays touchés. MSF plaide pour qu’il soit davantage disponible et plus accessible», ajoute pour sa part l’ONG.
Que faire pour éviter un empoisonnement ?
La réponse est surtout la prudence. Comme le rappelle Interpol, on peut résumer les conseils en quatre points. D’abord, le lieu de vente – veiller à acheter sa boisson dans des commerces disposant de licence – et le prix – qui doit alerter s’il est particulièrement bas. Il y a aussi l’emballage du produit, que l’agence recommande d’examiner attentivement pour détecter d’éventuelles «fautes d’orthographe» et tout élément suspect ou manquant comme les coordonnées du fabricant qui pourraient indiquer qu’il s’agit d’une contrefaçon. Enfin, être attentif à l’aspect de la boisson, notamment «aux mauvaises odeurs» : «Si le produit a la même odeur qu’un décapant ou un dissolvant, c’est probablement parce qu’il en contient.»
Si vous pensez avoir consommé un alcool frelaté ou commencez à présenter des symptômes, allez voir un médecin le plus rapidement possible.
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