« Manifestes du surréalisme », d’André Breton, préface de Philippe Forest, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1 138 p., 65 €.
Des deux Manifestes du surréalisme parus en 1924 et en 1930 au Sagittaire (on en compte un troisième, mais réduit à quelques pages de prolégomènes), et aujourd’hui réédités dans « La Pléiade », le plus célèbre est le premier, dont on célèbre le centenaire. Bien qu’il s’agisse de la préface à un recueil de poésie, Poisson soluble, André Breton (1896-1966) y fournit une assise théorique aux activités du groupe, enfin détaché du mouvement dada, trop anarchique. C’est toutefois dans le second que la prose de Breton se fait la plus souveraine (la plus polémique aussi, à l’égard d’anciens complices dorénavant invectivés) et en même temps la plus poétique.
Là, au milieu de déclarations programmatiques et d’anathèmes, Breton en appelle à ses troupes. Ses alliés bien entendu, au sein d’un milieu littéraire en pleine recomposition politique. Mais, plus largement, tous ceux qu’anime l’esprit de révolte, car il se trouve encore, écrit-il, « à cette heure par le monde, dans les lycées, dans les ateliers même, dans la rue, dans les séminaires et dans les casernes, des êtres jeunes, purs, qui refusent le pli ». C’est à eux surtout que l’auteur du Second manifeste s’adresse, aujourd’hui comme en 1930.
Rendre manifeste, c’est d’abord définir le surréalisme. En 1924, Breton le fait comme dans un dictionnaire : « Automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer (…) le fonctionnement réel de la pensée. » Tout avait débuté en 1919 par un jeu – sérieux, comme tous les jeux des surréalistes – avec Philippe Soupault (1897-1990) : noter à tour de rôle ce qui leur venait à l’esprit, assez vite pour perdre le contrôle, dans un « louable mépris de ce qui pourrait s’ensuivre littérairement ».
Cette expérience d’écriture automatique leur dévoila soudain un continent psychique libre des entraves de la raison ou de la morale et accessible par plusieurs voies, en particulier les rêves et les états hypnotiques. Une fois obtenue la déprise jaillissait une nouvelle forme d’inspiration, débarrassée de toute « littérature » au sens traditionnel – thèmes rabâchés, effets rhétoriques, recettes poétiques… : toute la vieillerie. Est-ce par ironie, défi ou ambition ? Les surréalistes intitulèrent leur première revue Littérature.
Une sorte de formule magique
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