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Climat Libé Tour
Au Climat Libé Tour à Dunkerque, le parlementaire de Loire-Atlantique est revenu sur la question de la souveraineté industrielle, et des contours qu’elle devrait avoir pour réussir à réindustrialiser le pays.
Après le Covid, la question de la souveraineté industrielle est revenue au cœur des discussions économiques, en France comme en Europe. Mais au-delà des discours satisfaits de la macronie sur la politique de réindustrialisation depuis 2017, cette dernière tarde à se concrétiser. Pire, au premier semestre 2024, le baromètre de Bercy indiquait une balance nette de huit fermetures d’usines en France. Et c’était sans compter Michelin, qui a annoncé début novembre vouloir fermer deux usines à Cholet et Vannes, entraînant la suppression de 1 254 emplois.
Vendredi, à l’occasion du Climat Libé Tour à Dunkerque, Libération a fait débattre sur ce sujet Marie Ekeland, créatrice du fonds d’investissement «2050», Vincent Salimon, PDG de BMW France, Thomas Pellerin-Carlin, eurodéputé Place publique, et Matthias Tavel, député LFI-NFP. Ce dernier revient sur la manière dont il conçoit la réindustrialisation, et ce que serait une souveraineté juste d’un point de vue social et démocratique.
Après les récentes annonces de plans de licenciements, notamment chez Michelin, doit-on s’inquiéter pour l’industrie française ?
Oui, pour plusieurs raisons. D’abord, parce que l’industrie a été beaucoup abîmée, et donc que ce qui reste se trouve sur un ensemble fragile. Aussi parce que la politique menée par Emmanuel Macron depuis sept ans, c’est beaucoup d’esbroufe, et très peu de résultats. La politique de l’offre, la flexibilisation du marché de travail, le saupoudrage d’argent public par milliards d’euros mais non conditionnés ne font pas une politique industrielle. Si nous voulions faire face à la crise, il faudrait changer de logique. Et ce qui est le plus inquiétant, c’est que ceux qui nous ont amenés dans cette crise pensent pouvoir en sortir avec les mêmes recettes que celles qui nous y ont conduits.
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Quel serait ce changement de logique ?
Il s’opérerait de trois manières. En premier lieu avec du protectionnisme contre la concurrence déloyale, comme celle de l’acier chinois au profit des productions européennes. Mais aussi un changement de logique avec une vraie planification : tout ce qui permet de donner à l’industrie des objectifs de long terme, d’investissements et pas de rentabilité pour les actionnaires, comme on le voit avec Michelin. Il faut être capable de fixer des objectifs à chaque filière et enfin de dire aux actionnaires que ce n’est pas eux qui décideront de l’avenir de l’industrie française et européenne. Les licenciements doivent être interdits dans les entreprises qui versent des dividendes et les aides publiques remboursées en cas de plan social.
Les prix de l’énergie sont souvent invoqués par les industriels. Comment y répondre ?
Il y a une vraie question : nous ne pouvons pas avoir d’industrie et a fortiori écologique, sans avoir un prix de l’électricité compétitif, mais qui soit surtout stable dans le temps long. Malgré tout, il y a parfois une instrumentalisation de cette question, puisque Mittal prend par exemple prétexte de ce coût de l’électricité mais est capable d’augmenter le dividende qu’il verse quand son bénéfice diminue. Comment on y répond ? D’abord en produisant de l’électricité et donc quand on a un gouvernement qui traîne des pieds sur les énergies renouvelables, qui refuse d’aller sur la conversion des centrales à charbon à la biomasse comme c’était promis par Emmanuel Macron, il ne crée pas les conditions de disponibilités suffisantes en volume d’électricité. Et nous avons vu l’échec du système où l’électricité est vue comme un produit sur un marché européen. C’est insoutenable, parce que cela peut atteindre des pics ingérables pour l’activité industrielle et aucune visibilité pour les industriels qui ont besoin de stabilité quand il faut investir plusieurs millions d’euros pour changer tel four ou tel haut-fourneau. Ce n’est pas le prix à trois mois qu’il faut connaître, mais dans cinq, dix ou quinze ans. Nous proposons donc de sortir l’électricité du marché européen et d’aller vers un tarif réglementé, pas seulement pour les particuliers mais aussi de long terme pour les activités électro-intensives.
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Comment décarboner et dépolluer tout en évitant la casse économique et sociale ?
L’industrie verte ne se résume pas à la décarbonation. La dimension de sobriété en termes de matières premières, d’eau, de réduction des émissions polluantes, d’impact sur l’environnement doit faire partie de la réflexion. Pour ce qui est de la décarbonation, il y a un premier levier qui est de relocaliser. Et donc la question du protectionnisme et des stratégies de filière sont là, parce que la moitié de notre empreinte carbone, ce sont des consommations importées. Il y a aussi la question de l’électrification de nos processus industriels. Et ces transformations doivent impérativement s’appuyer sur les salariés.
Vous défendez l’idée de mobiliser l’assurance-vie…
Si on veut transformer l’industrie existante et relocaliser des pans entiers de l’activité industrielle, il va falloir beaucoup d’argent. Evidemment de l’argent public, par un fonds souverain ou des nationalisations par exemple pour les sites de General Electric sur l’éolien en mer, mais aussi de l’épargne privée qui doit être orientée. Aujourd’hui, il y a 2 000 milliards d’euros d’assurance-vie qui bénéficient d’avantages fiscaux, quel que soit l’usage qui est fait de cet investissement. Nous proposons de réserver cet avantage à la part de l’assurance vie investie en France voire dans des activités écologiquement soutenables. Même idée par exemple avec les cartes cadeaux offertes par les entreprises à leurs salariés qui pourraient être fléchées vers des achats «made in France».
La souveraineté doit-elle être française ou européenne ?
La souveraineté, c’est d’abord une question démocratique. C’est : «Est-ce que l’on peut choisir par nous-mêmes ce que l’on veut faire, et faire ce que l’on a décidé démocratiquement de faire ?» Or le cadre démocratique, c’est d’abord le cadre national. La souveraineté, c’est donc en premier lieu celle que le peuple français se donne pour répondre à ses besoins sociaux et écologiques. Même s’il y a de timides bougés récents, l’UE a d’abord été une construction européenne libérale qui s’est faite au détriment de l’industrie française. Une délocalisation sur deux au départ de la France a lieu vers un autre pays de l’UE. L’échelon européen a apporté jusqu’à présent plus de dégâts, notamment de libre-échange, qu’il n’a apporté de solutions sur ce sujet. Maintenant, il est évident que dans le contexte international, l’échelle européenne pourrait être pertinente, s’il y a des protections aux frontières du continent et une volonté d’avoir une vraie politique industrielle et pas seulement de concurrence. Mais ce n’est pas seulement une question de France et d’Europe, c’est aussi quelle souveraineté par rapport aux marchés financiers et aux choix des actionnaires, et quelle souveraineté pour les habitants et les salariés sur l’outil de production.
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