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Agriculture
Déjà fragilisés par un traité de libre-échange noué entre l’Union européenne et des Etats des Caraïbes, les agriculteurs de Martinique et de Guadeloupe craignent l’alliance économique décriée avec les pays sud-américains.
Il y a comme de la lassitude dans la voix des agriculteurs ultramarins lorsque les mots «libre-échange» et «Mercosur» résonnent à leurs oreilles. Aux Antilles, il n’y a pas de mobilisation des éleveurs et cultivateurs devant les préfectures, malgré un soutien unanime à leurs collègues hexagonaux : «On nous entend peu car nous avons été un laboratoire pour ce type d’accord, au niveau des fruits et des légumes avec la ratification, en 2008, des accords de partenariats économiques UE-Cariforum», s’insurge Alex Bandou, secrétaire général de l’Union des producteurs de la Guadeloupe. Cet accord de libre-échange a été signé entre l’Union européenne et les membres du Cariforum, qui réunit la République dominicaine et la communauté des Caraïbes, forte de 13 pays.
Le texte a fait des départements d’Outre-Mer les portes de l’Europe, par lesquelles entrent les fruits et légumes caribéens, aux détriments de la production ultramarine française. «Or, ces pays [du Cariforum] cultivent la même chose que nous, pour un coût moindre. La main-d’œuvre est moins chère qu’en France et sur le plan sanitaire, ils ont accès à des molécules que l’on a dû retirer», ajoute Alex Bandou. Le résultat se voit ensuite sur les étals des magasins. Le kilo d’igname, particulièrement consommée à Noël en Martinique comme en Guadeloupe, est vendu à moins de 1 euro lorsqu’il provient de République dominicaine. Les ignames locales sont, elles, proposées entre 1,98 euro et 3,30 euros le kilo.
La production de miel menacée d’être engloutie
Avec le Mercosur, ce sont de nouvelles filières qui risquent d’être fragilisées. «Pour le sucre de canne, nous sommes protégés», nous précise d’entrée Thierry Pouch, économiste, responsable du service d’études économiques et prospectives à Chambres d’agriculture France. «L’accord ne s’applique pas aux sucres spéciaux comme la cassonade, les sucres vanillés ou le sucre de canne. Or, c’est ce que nous produisons dans les Antilles», indique-t-il. Alex Bandou, lui, est moins confiant : «Je doute qu’à la fin des négociations, nous ayons gain de cause. La France est certes le premier producteur de sucre de canne d’Europe grâce aux Outre-mer, mais dans ces négociations, il va falloir faire face au Brésil, qui est le premier exportateur de sucre au monde.» La production de miel est également menacée d’être engloutie par l’accord. La Martinique et la Guadeloupe produisent respectivement une centaine de tonnes de miel par an et devront rivaliser avec les 45 000 tonnes de miel d’importation vers l’UE, qui pourraient ne plus faire l’objet de droits de douane.
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Autre secteur où l’inquiétude est perceptible : l’élevage bovin et porcin. Pour ces filières, la situation se dégrade depuis plusieurs années sur les deux îles françaises des Caraïbes. Selon les données de l’Insee, on constate un recul pour les productions de viande bovine martiniquaise et guadeloupéenne, respectivement de 4,9 % et 11 % pour l’année 2023. Idem pour la filière porcine (- 12,3 % en Martinique, – 14 % en Guadeloupe). Seule la volaille se maintient à un bon niveau, surtout en Martinique (+ 1,9 %). «Pour la viande porcine, le contingent est de 25 000 tonnes pour l’Europe. Ce n’est donc pas très inquiétant pour l’Outre-Mer. Par contre, pour la viande de bœuf, on est à 160 000 tonnes et 180 000 tonnes sur la volaille. Cela sera nécessairement préjudiciable aux éleveurs locaux», s’inquiète Thierry Pouch.
«De la frustration»
A l’inverse, les opportunités pour les agriculteurs des départements ultramarins d’écouler leurs marchandises vers les pays du Mercosur sont quasi nulles. «Il y a de la frustration chez les agriculteurs antillais», observe Manuel Gérard, animateur de l’interprofession Iguaflhor : «Comment voulez-vous attirer des jeunes dans ce métier s’ils savent que leur culture n’aura aucune visibilité car des produits venus de partout ailleurs se vendront moins cher ?» Dans les départements d’Outre-mer, rappelle le service de la statistique et de la prospective du ministère de l’Agriculture, entre 2010 et 2020, le nombre de chefs d’exploitation a reculé de 8 %.
C’est qu’en dehors des problématiques liées au libre-échange, les agriculteurs martiniquais et guadeloupéens cumulent les difficultés : «Les nouveaux agriculteurs peinent à trouver du foncier exploitable. Nous rencontrons aussi beaucoup de problèmes avec les aides européennes, pas toujours adaptées à la manière de produire dans les Caraïbes ou qui ne sont pas appliquées chez nous, analyse Yoan Cabidoche, premier vice-président des Jeunes Agriculteurs de Guadeloupe, syndicat qui prend part au mouvement de contestation dans l’Hexagone. Tout cela nous empêche de nous mobiliser comme en France, alors que nous allons nous aussi être impactés.»
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