Genaro García Luna, le ministre mexicain ami des cartels lourdement condamné aux Etats-Unis

Главная страница » Genaro García Luna, le ministre mexicain ami des cartels lourdement condamné aux Etats-Unis
Chargé de la lutte antidrogue pendant six ans, l’ex-chef de la sécurité publique a fermé les yeux sur les activités de Joaquín «El Chapo» Guzmán, en échange de mallettes de billets. Un tribunal de New York lui a infligé trente-huit ans de prison.

On l’appelait le «tsar antidrogue» du Mexique, un des pays où le narcotrafic est le plus florissant, mais le superflic Genaro García Luna a utilisé des années durant sa fonction officielle de ministre de la Sécurité publique comme couverture pour protéger les barons du cartel de Sinaloa, l’organisation de Joaquín «El Chapo» Guzmán. Jugé par le même tribunal, la cour de justice du district Est de New York, et le même juge – Brian Cogan – que son ancien complice, il va subir un sort comparable : il a été condamné mercredi 16 octobre à trente-huit ans et quatre mois de réclusion. El Chapo avait de son côté écopé de la perpétuité, en juillet 2019.

Genaro García Luna, 56 ans, est le responsable politique mexicain le plus important à être jugé et condamné dans le pays voisin. Son procès s’est tenu en janvier et février 2023. Chargé en 2006 de mener «la guerre contre la drogue» par le président conservateur Felipe Calderón, le superflic s’attaquait à certains cartels pour protéger le plus puissant d’entre eux. En France, on le connaît davantage pour le rôle moteur qu’il a joué dans l’affaire Florence Cassez, une expatriée faussement accusée d’un enlèvement monté de toutes pièces.

A lire aussi

Ingénieur de formation, Genaro García Luna a d’abord été recruté comme indic par les services de sécurité mexicains. Entré dans la police, la vraie, il est chargé de lutter contre le fléau des enlèvements qui se multiplient. Il devient célèbre en pilotant les sauvetages de plusieurs hommes d’affaires séquestrés, mais ses méthodes seront plus tard mises en cause. «Il rendait les victimes d’enlèvement dépendantes de celui qu’elles pensaient être leur sauveur, et il leur demandait ensuite des faveurs», a raconté à l’AFP Samuel Gonzalez, un ancien procureur antidrogue. De fait, sa fortune s’est accrue bien au-delà de ses revenus de haut fonctionnaire.

450 000 morts dans la «guerre contre la drogue»

En 2001, García Luna prend la tête de l’Agence fédérale d’investigation. En 2006, nouvel échelon : le président Felipe Calderón le nomme ministre et lui confie la lutte contre le crime organisé, un poste qu’il conserve pendant six ans. La «guerre contre la drogue», lancée avec le soutien des Etats-Unis, consiste à confier à l’armée une partie des opérations contre les trafiquants. C’est le début d’une escalade sanglante dont le bilan est évalué à 450 000 morts et 100 000 disparus depuis 2006. Pendant ce temps, les agences internationales antidrogue conservent au «tsar» leur confiance, et il est récompensé par le FBI, la Drug Enforcement Administration, l’Espagne ou encore Interpol.

Comme le révélera le procès de Chapo Guzmán, Genaro García Luna a profité de son statut pour accorder des faveurs et sa protection au puissant cartel de Sinaloa. Plus de 1 000 tonnes de stupéfiants sont ainsi arrivées aux Etats-Unis, «en échange de millions de dollars de pots-de-vin», a rappelé le parquet fédéral de Brooklyn mercredi.

Dès la fin du mandat de Calderón, García Luna s’installe aux Etats-Unis où il fait fructifier sa fortune dans l’immobilier. Dans son pays, il fait l’objet de poursuites pour blanchiment, mais ses soutiens dans le monde judiciaire et dans l’entourage du nouveau président, Enrique Peña Nieto, lui garantissent l’impunité. Son enrichissement a pourtant été révélé par des enquêtes de médias indépendants, mais les seules conséquences seront les menaces contre les journalistes, dont plusieurs devront quitter le Mexique.

2 millions de dollars pour un faux témoignage

En 2019, son système de corruption est mis en évidence lors du procès de Guzmán. García Luna est arrêté au Texas en décembre et emprisonné. Derrière les barreaux, il donne l’image d’un détenu modèle. Il aide ses codétenus dans leurs études et leur défense, ont rapporté certains d’entre eux dans des lettres adressées au juge Cogan. De façon pas forcément désintéressée : l’ancien superflic a été accusé d’avoir proposé jusqu’à 2 millions de dollars en échange de faux témoignages en sa faveur.

A lire aussi

Le tribunal de Brooklyn n’en a pas fini avec les procès liés au narcotrafic au Mexique. Le prochain, dont la date n’est pas encore connue, devrait être celui de Ismael «El Mayo» Zambada, ancien lieutenant de Chapo Guzmán, arrêté en juillet après quarante ans de cavale.

Genaro García Luna est le dernier d’une longue liste de criminels d’Amérique latine jugés et condamnés non dans leur pays d’origine mais aux Etats-Unis. Les premiers extradés ont été les parrains colombiens, dès les années 80. Le célèbre Pablo Escobar, recherché par la justice américaine, aurait prononcé la fameuse phrase «Mieux vaux une tombe en Colombie qu’une prison aux Etats-Unis». Il obtiendra satisfaction : en décembre 1993, le patron du cartel de Medellín est abattu par la police alors qu’il tente de fuir la maison où il était encerclé.

Des moyens illimités pour corrompre

La Colombie a extradé 2 300 de ses citoyens aux Etats-Unis entre 1999 et 2020, dans la majorité des cas pour trafic de drogue. Le Mexique a fait de même entre 2006 et 2020, avec 1 300 ressortissants. Et le Honduras s’est débarrassé de son ancien président Juan Orlando Hernández (2014-2022), condamné en juin aux Etats-Unis pour trafic de drogue. Cette priorité donnée à un Etat étranger relève d’un aveu de faiblesse : dans leur pays, les trafiquants et leurs complices ont des moyens illimités pour corrompre (ou intimider) juges, élus et autorités pénitentiaires, comme on l’a vu avec les deux évasions (2001 et 2015) au Mexique de Chapo Guzmán, supposé être le détenu le plus surveillé du pays.

Il existe en effet un abyme entre les systèmes judiciaires. Aux Etats-Unis, il aura fallu cinq ans entre l’arrestation et la condamnation de Genaro García Luna. Au Mexique, Israel Vallarta, compagnon de Florence Cassez et victime d’une machination que le ministre corrompu avait organisée, est détenu en attente de procès depuis 19 ans.

Libération

Post navigation

Leave a Comment

Schreibe einen Kommentar

Deine E-Mail-Adresse wird nicht veröffentlicht. Erforderliche Felder sind mit * markiert

Au Liban, une sortie du coma ? par Sélim Nassib

Même en rêve, les Libanais n’auraient pu imaginer qu’en l’espace de quelques jours ils auraient Joseph Aoun comme président et Nawaf Salam comme Premier ministre – deux hommes incarnant la…