«Le temps libre, c’est aussi apprendre à ne rien faire : contempler, ressentir, résister aux sollicitations»

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Les rencontres de l’éducation populairedossier

Pour la sociologue Véronique Laforets, les politiques publiques cantonnent trop le temps libre des enfants et des jeunes à une simple logique de réussite scolaire.

Chercheuse associée au Laboratoire de recherches coopératives en sciences sociales (Larec), Véronique Laforets travaille sur la dimension éducative du temps libre, et sur la façon dont les pouvoirs publics, en France, s’en saisissent et l’organisent. Elle interviendra lors de la quatrième édition des Rencontres de l’éducation populaire, les 5, 6 et 7 décembre à Marseille.

Quel est précisément ce temps libre des enfants et des jeunes, et pourquoi mérite-t-il une attention particulière ?

Le temps libre, ce sont tous ces moments autres que le temps scolaire ou familial. Des moments où l’on peut acquérir des compétences et des savoirs qu’on n’apprend pas à l’école ou en famille. Il a, de fait, augmenté ces dernières années, puisque le temps scolaire a lui-même diminué.

La question de ce temps libre est d’une très grande actualité, à mon sens, parce qu’on ne cesse de demander aux jeunes des compétences multiples, de solidarité, de savoir vivre en société, d’initiative… Sans se poser réellement la question des moyens et des temps dont ils disposent pour les acquérir. Et puis, face aux difficultés de l’école, perçue comme notre unique boussole éducative, et qui ne peut pourtant pas tout faire toute seule, nous avons une responsabilité collective à penser, aussi, l’éducation en dehors de celle-ci.

Ce temps libre, montrent vos recherches, tend à se privatiser en France. Pourquoi ?

Cette privatisation vient en fait accompagner la privatisation de l’acte éducatif lui-même. La première raison, c’est le désengagement de l’Etat, et des politiques publiques qui ont rétréci. Mais il y a aussi une défiance croissante des parents à l’endroit des organisations éducatives, scolaires ou non. Les parents préfèrent désormais inscrire leurs enfants à des activités spécifiques : un atelier de poterie, un cours de musique, de taekwondo, etc. Les formules collectives et généralistes, comme les centres de loisir par exemple, sont devenues des derniers recours, un choix par défaut. On y met ses enfants quand les grands-parents ne sont pas disponibles…

Quelles en sont les conséquences ?

Cela a un impact, forcément, sur les enjeux de socialisation et de mixité sociale. Les loisirs spécifiques sont encore plus sujets aux biais socioculturels que l’école. On ne côtoie pas les mêmes parents et les mêmes enfants à l’école de musique et à la poterie qu’au centre de loisir ou qu’en colonie de vacances. Autre enjeu : celui des apprentissages, et de tout ce qui ne s’apprend pas dans un club de sport ou une école de musique. Par exemple penser, inventer et décider à plusieurs. Ou, et c’est formidablement important, apprendre à ne rien faire : contempler, ressentir, résister aux mille sollicitations qui encombrent nos vies.

Vous évoquiez le désengagement de l’Etat sur ce sujet. Depuis quand et comment opère-t-il ?

L’Etat a commencé à abandonner la question des loisirs à partir des années 80. Cela s’est traduit par un moindre investissement dans les centres de vacances, dans l’entretien du patrimoine bâti des lieux de loisirs collectifs, et dans la formation des animateurs. En témoigne, ici, le diplôme du Bafa, que l’Etat finance moins bien que jadis. Pour autant, l’action publique en matière de temps libre n’a pas disparu. L’Etat, pour s’en débarrasser, en a confié la tâche aux collectivités territoriales en leur proposant divers dispositifs financiers.

Pour quels résultats ?

Les collectivités s’en sont servies, mais pas vraiment pour développer un temps libre émancipé de l’école et de la famille. Au contraire : elles ont resserré ce temps libre autour de l’école, via l’accueil périscolaire par exemple, ou l’accompagnement à la scolarité. On ne peut pas tout à fait le leur reprocher : on peut comprendre que la réussite scolaire soit pour elles un objectif. D’ailleurs, le temps libre des enfants ne figure pas dans leurs compétences obligatoires. Ceci étant, le résultat pose question : la logique scolaire imprègne aujourd’hui fortement le temps libre. Les vacances et les samedis, dans le même temps, ont été fortement désinvestis. Ce temps libre assujetti à la réussite scolaire prive enfants et jeunes de moments qui permettent, justement, d’apprendre et vivre autre chose.

Libération

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