«J’ai fait un million d’erreurs» : au procès Pogba, la rancœur et les regrets du grand frère Mathias

Au cinquième jour du procès intenté contre lui et d’autres proches par son frère Paul Pogba, ancien milieu de terrain de l’Equipe de France de foot, Mathias Pogba s’est défendu ce mardi 3 décembre des accusations d’extorsion formulées à son encontre, et il a fait part d’une amertume tenace vis-à-vis de son cadet.

Mathias Pogba est «fier» de son petit frère Paul, ancien milieu de terrain de terrain de l’Equipe de France, il a «toujours été là pour lui et le [sera] toujours». Jamais il n’a été «envieux» ni «jaloux» à l’égard de la fortune ou de la notoriété de son cadet, lui dont la carrière de footballeur professionnel n’a jamais réellement décollé. Bien sûr, il «regrette à 100 %» le tort qu’il a pu causer à Paul, mais il ressasse encore, deux ans après les faits, l’attitude de ce dernier à son égard – «Je voudrais comprendre pourquoi il ne m’a rien dit […]. Si j’avais su la vérité avant, ça aurait évité beaucoup de choses.»

Avec son costume sombre et sa démarche dégingandée qui rappelle immanquablement celle de son célèbre frangin, Mathias Pogba s’est exprimé devant le tribunal correctionnel de Paris, ce mardi 3 décembre, pour la première fois depuis le début une semaine plus tôt du procès intenté contre lui et d’autres proches de la fratrie par Paul Pogba lui-même. Pendant plus de quatre heures, il a tenté de se défendre des accusations de tentative d’extorsion et de participation à une association de malfaiteurs pour lesquels il est poursuivi, admettant des erreurs mais rejetant souvent la faute sur d’autres, y compris sur le vainqueur de la Coupe du Monde 2018, absent depuis le début des débats.

«Une piètre opinion de son frère»

Des six prévenus qui comparaissent devant le tribunal, Mathias Pogba, 34 ans, est le seul visage connu du public. Mais il est aussi celui contre lequel les accusations retenues par la justice sont les moins lourdes. Car il n’était pas présent lors de cette sordide soirée du 19 mars 2022 qui vaut à ses coprévenus des poursuites pour enlèvement et séquestration. Ce jour-là, Paul Pogba avait été menacé par deux hommes armés et cagoulés alors qu’il se trouvait dans un appartement de Seine-et-Marne en compagnie de ses potes, lesquels sont soupçonnés d’avoir mis en scène le braquage pour soutirer de l’argent au footballeur.

De cet événement traumatisant, Mathias Pogba n’a été mis au courant par personne, assure-t-il. C’est seulement quatre mois plus tard, le 13 juillet 2022, au gré d’une rencontre inopinée à la sortie d’une salle de sport de Noisy-le-Grand, que ses amis, et notamment Roushdane K, également prévenu au procès, lui rapportent l’affaire. «Ils m’annoncent qu’ils doivent me raconter quelque chose, une dinguerie, raconte Mathias Pogba. Ils m’expliquent qu’ils se sont tous fait braquer par les ravisseurs, qu’ils sont tous victimes, et qu’ils sont en danger.»

A l’époque déjà, et depuis au moins un an, les relations entre les deux frères se sont sensiblement dégradées. Au cours de l’instruction judiciaire, Mathias Pogba a confié avoir «une piètre opinion de son frère […] en lien avec la prise en charge financière que ce dernier était susceptible d’assurer auprès des membres de la famille». Le cadet, en retour, a déploré devant les enquêteurs la «relation financière» qu’il avait fini par entretenir avec son aîné – «je lui versais de l’argent, et il m’en redemandait encore». En fin de contrat avec le petit club de Belfort, Mathias Pogba prépare son départ pour l’Australie, nouvelle étape d’une carrière atypique qui l’a déjà mené en Angleterre, aux Pays-Bas ou en Slovénie. Paul Pogba est, lui, retourné à la Juventus de Turin après un passage de six ans à Manchester United, et les deux ne se voient «pas fréquemment» à cette période.

«On a peur d’être les prochains»

La star du ballon rond refuse même de recevoir son frère, venu lui rendre visite en Italie avec quatre amis dès le 14 juillet – pour «jouer [son] rôle et de grand frère et avoir sa version à lui» des événements du mois de mars, selon Mathias Pogba – et ignore ses appels tout a long de l’été. Le grand frère comprend de moins en moins le mutisme du milieu de terrain des Bleus, d’autant qu’il finit par craindre pour sa propre sécurité : fin juillet, il affirme avoir été «braqué» dans sa commune de Roissy-en-Brie, en Seine-et-Marne, par deux hommes qui passaient en voiture et lui ont intimé de «dire à [son] frère de trouver une solution». Roushdane K. lui a aussi dit s’être fait tirer dessus, sur la main, par des inconnus qui lui auraient reproché de ne pas rapporter l’argent réclamé à Paul Pogba. «A ce moment-là, je suis en panique totale. On a peur d’être les prochains», souffle Mathias Pogba.

A deux reprises au cours de l’été 2022, toujours accompagné de plusieurs des autres prévenus, il rend visite à sa mère, Yeo Moriba (laquelle assiste au procès depuis le premier jour). Pour lui «mettre la pression» et l’encourager à convaincre son fils cadet de payer les treize millions d’euros que lui réclament ses maîtres chanteurs, soutient l’accusation. Seulement pour «la tenir informée du danger qu’on est en train de vivre», conteste le mis en cause.

A la fin du mois d’août, celui-ci pousse l’affrontement un cran plus loin. Sur les réseaux sociaux, il publie une vidéo menaçante dans laquelle il promet des «grandes révélations», à même de nuire à la carrière et à l’image de son frangin. L’affaire devient publique, et le grand frère, qui se voit en «chef de famille» capable de «prendre soin des [siens]», est bientôt placé en détention provisoire – il sera détenu pendant trois mois à la maison d’arrêt de Villepinte, en Seine-Saint-Denis.

«Vous n’avez jamais demandé les détails, ce n’est pas dommage ?»

Deux années plus tard, Mathias Pogba se décrit désormais comme une «marionnette» dans cette affaire. Il accuse Roushdane K., le seul des prévenus à comparaître en détention provisoire, celui aussi dont le casier judiciaire est le plus lourd, de l’avoir «utilisé». «Il ne m’a pas dit la vérité», regrette-t-il au sujet du braquage du 19 mars 2022. Mais il en veut aussi à son frère. «Pendant toute cette période, ça n’allait pas. J’ai fait un million d’erreurs pendant un mois, confesse le prévenu. […] Mais j’ai fait tout ça parce que je n’étais au courant de rien. Je suis son frère, il aurait dû m’avertir. On m’a jeté dans la jungle, on m’a dit démerde-toi. A ce moment-là, je suis sous le choc émotionnel. Je ne suis plus Mathias, moi, tel que je suis. J’ai l’impression que m’exprimer sur les réseaux sociaux est ma seule issue. C’est ce que je regrette profondément.»

La présidente du tribunal s’étonne de son empressement à croire la version de Roushdane K., de sa faible curiosité, du peu de questions sur les événements qu’il a posées à ses camarades comme à Rafaela Pimenta, l’agente de son frère : «Vous n’avez jamais demandé les détails, ce n’est pas dommage ?» «Oui, c’est dommage», répond-il seulement. Mathias Pogba risque jusqu’à cinq ans de prison.