Climat Libé Tour : interview
Le jeune collectif à la tête du Ballet national de Marseille évoque pour «Libé» la «force de résistance» de l’art chorégraphique et l’importance de lutter avec son corps.
Pour la cinquième étape du Climat Libé Tour 2024, Libé fait étape à Marseille le samedi 19 octobre (entrée libre sur inscription).
Pour l’étape marseillaise du Climat Libé Tour, le jeune collectif chorégraphique (La)Horde, à la tête du Ballet national de Marseille depuis 2019, et ses danseurs, donnent ce vendredi 18 octobre une représentation à la Citadelle d’une pièce adaptée de leur succès Room With a View, mis en musique par le compositeur Rone. A cette occasion, Libération s’est entretenu avec Arthur Harel et Marine Brutti, créateurs de (La)Horde avec Jonathan Debrouwer. Au nom du collectif, ils évoquent leur rapport au pouvoir et à la légitimité, l’accessibilité de l’art et la lutte sociale et écologique à travers le corps.
Pouvez-vous nous parler de Room With a View ?
Pour cette pièce, on s’est interrogés sur le mouvement de la crise climatique, sans être dans une forme de greenwashing. On a trouvé le mouvement de la collapsologie et de l’effondrement. L’idée est de montrer qu’une association d’individualités peut créer un sentiment de vivre-ensemble et qu’on peut faire face à nos monstres communs, ensemble.
Pour vous, le mot «collectif» veut dire…
Des amis et de l’amour d’abord. Depuis notre arrivée à la direction du Ballet de Marseille, on a eu à cœur de trouver une pluralité en termes de nationalités, de genres… C’est ce qu’on veut défendre : un corps de ballet, un groupe de danseurs permanents au sein d’une institution, un ensemble chorégraphique national. Face à la parole bruyante de notre société, la danse est une solution poétique et organique, presque silencieuse. Et le corps est quelque chose d’assez fou. Il peut être un langage universel, pas dans le sens universalisant ou mondialisant, mais comme un endroit de rencontre et d’expression.
Le collectif vous amène une forme de puissance… Est-ce que danser signifie attaquer ?
«Attaquer» n’est pas un mot suffisant pour expliquer ce que la danse peut faire. C’est une force de résistance, pas forcément dans l’attaque. La danse véhicule des positionnements politiques, des sentiments, des visions et des pensées. C’est universel.
N’y a-t-il pas une sorte d’élitisme derrière cette forme de lutte ?
C’est juste. Les combats et les valeurs qu’on défend sont des choses qui sont loin d’être atteintes, que ce soit la diversité des publics ou l’accessibilité au monde de l’art. Ça s’explique par plein de problématiques systémiques. Et, une fois qu’on dit ça, il faut se battre pour que nos institutions soient plus inclusives. L’élite a tendance à penser que l’art est un endroit inaccessible, alors que toute culture est légitime. C’est un luxe d’avoir le temps de s’émouvoir, de s’interroger dans un monde qui est littéralement en train de s’effondrer. Mais, tous les ans, on joue sur le Vieux Port. On trouve des fonds à droite, à gauche pour faire un spectacle pour les Marseillais. Avoir tous nos spectacles gratuits ? Si on le pouvait, on le ferait.
D’ailleurs, vos répétitions sont ouvertes à tous…
Oui, et le dernier filage en tournée est ouvert au public. C’est un endroit où on a juste envie de partager la chorégraphie. La force inhérente de l’art et de la danse permet de développer un sens critique, de rassembler, de réfléchir, d’échanger des idées… Après, on n’a pas un système parfait. Tout est toujours perfectible. Quand on arrive à des positions de pouvoir, il faut réfléchir à ce qu’on en fait ensuite. Est-ce qu’on décide de pourrir avec ou est-ce qu’on décide de faire de l’empouvoirement en le redistribuant le plus vite possible ? Ces décisions nous poussent à ne pas tomber dans cette forme d’élitisme tout en conservant une forme d’excellence et d’expertise. Quand on parle ici de prendre soin de l’héritage, ce n’est pas forcément être conservateur. C’est arriver avec des idées nouvelles pour faire vivre les différents âges du ballet.
Votre position à la direction du Ballet national de Marseille apporte de la légitimité à votre groupe, mais aussi toutes les contraintes liées à l’institution. Comment gérez-vous cette ambivalence ?
Notre position n’empêche pas l’expression à travers nos œuvres, jamais. Etre en charge d’une institution s’accompagne d’un droit de réserve pour garder une forme d’indépendance et pour éviter une récupération. En France, depuis les années 80, la culture n’est pas seulement rentable financièrement, elle l’est surtout en termes d’éducation, de citoyenneté. Elle fait rayonner le pays. Et nous, nous sommes des enfants de cette politique culturelle : on croit énormément en nos outils publics. On arrive à bouger des mastodontes et des institutions qu’on pensait verrouillées. Bien sûr, il y a des responsabilités différentes de celles de simples artistes indépendants – qu’on redeviendra peut-être – et une vraie volonté de croire en ces institutions financées par des partenaires publics. Cette croyance nous accompagne dans tous nos voyages et nous fait dire que l’art se doit d’être politique.
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