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Droits humains
Dans un rapport publié ce jeudi 12 décembre, des organisations font état de violations accrues des droits humains dans les régions investies par des grands groupes comme TotalEnergies.
Ce n’est pas la première fois que sont documentées les injustices et les violences qui sévissent autour des méga projets pétroliers en Ouganda. En 2022, alertés par le travail des associations et des journalistes, quatre rapporteurs spéciaux de l’ONU s’étaient notamment empressés d’exprimer leur inquiétude face aux «actes d’intimidation à l’encontre des organisations et des groupes de la société civile» se trouvant en travers du chemin de l’or noir. Mais il semblerait que ces brutalités soient encore montées d’un cran. Publié ce jeudi 12 décembre, un compte rendu lourd d’une centaine de pages et étayé par trois ONG internationales met en lumière de «nouveaux abus» et «l’aggravation» de ceux déjà existants, dans un contexte d’accélération de la construction des sites pétroliers dans le pays. Le titre de ce rapport est éloquent : «Pétrole, droits humains et communautés affectées en Ouganda : les projets avancent, les violations des droits humains aussi». Ces projets sont principalement détenus et exploités par le groupe français TotalEnergies et la China National Offshore Oil Corporation (Cnooc).
Barils qui seront exportés jusqu’en Tanzanie
Le document énonce des faits de «violence, d’extorsion, d’exploitation sexuelle, de harcèlement, d’expulsion forcée et de torture». Rédigé par la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), Avocats sans frontières et l’association ougandaise Civic Response on Environment and Development, en collaboration avec Oxfam, il se base sur 78 témoignages. Les entretiens ont été menés entre février et septembre, principalement parmi les membres des «communautés affectées», mais également auprès des défenseurs des droits humains et des personnes travaillant avec les autorités (locales et nationales). Les ONG se sont rendues dans les zones aux alentours des sites pétroliers de Kingfisher et de Tilenga, dans l’ouest du pays. Ainsi que dans le district de Masaka, plus au sud, territoire qui se trouve être le long du tracé de l’oléoduc de pétrole brut d’Afrique de l’Est (connu sous le nom de «Eacop»).
Kingfisher et Tilenga sont les deux sites d’extraction de pétrole de la région du lac Albert, connue pour ses gisements découverts en 2006. Ils sont détenus et exploités par une co-entreprise composée de TotalEnergies (actionnaire majoritaire avec 56,67 % des parts), de la Cnooc (28,33 %) et de la compagnie pétrolière nationale ougandaise (15 %). Kingfisher est un projet opéré par la Cnooc et Tilenga par TotalEnergies. En tout, 450 puits doivent être forés, dont 420 pour le seul site de Tilenga, sur lequel il est prévu de produire environ 200 000 barils par jour. Barils qui seront exportés jusqu’en Tanzanie par le fameux oléoduc Eacop, prévu d’être construit sur 1 445 kilomètres de long pour atteindre l’océan Indien.
Biodiversité
Dans leur compte rendu, les ONG rapportent que l’avancée des travaux relatifs à ces trois projets – qui avaient été dénoncés par le Parlement européen il y a deux ans à l’occasion de l’adoption d’une résolution d’urgence – a généré une «série de nouveaux impacts et fait naître de nouvelles préoccupations». Les atteintes les plus graves concernent les abords des champs pétrolifères de Kingfisher, où la présence de militaires ougandais a «considérablement augmenté», relatent-elles. L’armée venue sécuriser les infrastructures et les chantiers en cours en aurait profité pour accroître la répression dans les districts situés sur les rives du lac Albert et soumis à des restrictions sur la pêche (en raison de l’épuisement des stocks de poissons).
«Les personnes interrogées ont déclaré que les cas d’arrestation et de détention de pêcheurs dans les locaux des forces de sécurité ou de la police, puis de libération contre paiement, étaient pratique courante dans la région, est-il écrit dans le rapport. Les vendeurs de poisson sont également visés par cette forme de répression, la grande majorité d’entre eux étant des femmes. Deux défenseurs des droits humains ont signalé des cas d’exploitation sexuelle, où des soldats ont extorqué de l’argent ou contraint des femmes à avoir des rapports sexuels en échange de la restitution du poisson qu’ils avaient confisqué.»
Liste accablante
Plus globalement, les ONG assurent que les travaux des trois projets pétroliers ont «exacerbé les problèmes identifiés par le passé». Multiplication des «expulsions forcées», intensification de la «répression étatique» à l’encontre des défenseurs des droits (une centaine de personnes auraient été arrêtées en 2024), «nouveaux dommages» sur l’environnement (poussières, défrichement et le nivellement des terres, perturbation sur la faune locale…), «violation des droits des travailleurs» sur les chantiers : le rapport dresse une liste accablante des évènements qui se produiraient sur place. «Aujourd’hui, nous alertons sur les risques majeurs que représentent ces projets en Ouganda», insiste Eleonore Morel, directrice générale de la FIDH.
Contacté par Libération, le groupe TotalEnergies «tient à exprimer son plus ferme désaccord à l’égard d’affirmations contenues dans ce document qui mettent en doute l’attention portée au respect des droits humains dans les opérations menées en Ouganda». Evoquant la «transparence» dont la compagnie pétrolière «fait preuve sur les engagements pris en matière de droits humains, ainsi que sur leur mise en œuvre, qui ont fait l’objet de nombreuses communications publiques». Les trois ONG, qui ont pu s’entretenir avec les dirigeants de Total EP Uganda, filiale de TotalEnergies, appellent pourtant le groupe français à «lancer une enquête approfondie et indépendante sur les violations des droits humains à Kingfisher» et «prendre des mesures pour répondre de manière adéquate et rapide aux griefs des communautés» vivant aux alentours des sites. L’entreprise est actuellement attaquée en justice par des associations françaises, ougandaises et par 26 agriculteurs locaux, au nom de la loi sur le devoir de vigilance des multinationales.
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