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La commune de la banlieue bordelaise entend se baser sur le bâti existant et le milieu où il se trouve pour repenser et réhabiliter le quartier paupérisé de Saige. Le dossier a été soumis à un appel à projets de l’Etat.
Rénovation, économie d’énergie, écologie… A l’occasion de la consultation internationale «Quartiers de demain» visant à améliorer le cadre de vie des habitants de dix territoires pilotes, retour sur quelques projets pensés comme des laboratoires d’expérimentation.
«Ici, on a presque tout. Mais ce tout, il est devenu trop vétuste.» Devant les ascenseurs du hall de la tour n° 8, dans le quartier de Saige, à Pessac, Christie, une traductrice de 40 ans, pourrait passer de longues minutes à énumérer tout ce qui cloche dans son immeuble. Les cafards, l’urine et les poubelles dans les parties communes, la mauvaise isolation, les pannes récurrentes… «Sans compter les problèmes de sécurité et la précarité grandissante. C’est pareil dans toutes les tours», abonde Nahel, un autre habitant du quartier.
Au pied de l’immeuble longiligne qui jouxte sept autres répliques, parmi les plus hautes de la métropole, il faut presque se tordre le cou pour apercevoir le sommet des bâtiments et leurs 18 étages. L’ensemble, qui a vu le jour dans les années 1970 en lieu et place d’un ancien domaine viticole, tranche au milieu du paysage relativement arboré. A cette époque, les architectes Jean Dubuisson, Francisque Perrier et André Kelderman avaient été mandatés par les pouvoirs publics pour répondre aux besoins croissants de la métropole en matière d’habitat. Un demi-siècle plus tard, la ville de Pessac a répondu à un nouvel appel à projets lancé par l’Etat, baptisé «Quartiers de demain». A l’issue d’une consultation lancée en novembre, seulement trois seront retenus. Les lauréats devraient être connus au printemps.
«Eviter la ghettoïsation»
Dans la cité girondine à la réputation dégradée, où parmi les 4 000 habitants, plus de 40 % vivent sous le seuil de pauvreté, l’équipe municipale ambitionne d’introduire davantage de mixité, de mettre en place une meilleure insertion dans la ville et un changement d’image. Pour ce projet, la tour n° 8 fera l’objet de toutes les attentions. Envisagée comme un prototype, elle devrait être réhabilitée lourdement. Dans les étages les plus bas, seront notamment créés des locaux destinés aux entreprises. La programmation pourra s’appuyer sur la présence de l’hôpital privé Saint-Martin à proximité et du pôle universitaire. «Quand on a entamé la cartographie, on s’est rendu compte qu’il y avait une activité économique importante dans le quartier, mais très éclatée. Il y a par exemple beaucoup d’autoentrepreneurs», précise l’élu. Cette nouvelle attribution pourrait être complétée par le développement de logements destinés aux jeunes actifs ou aux étudiants dans les étages supérieurs.
En parallèle, Quartiers de demain prévoit l’aménagement d’une coulée verte reliant Saige au centre-ville et à l’université. Le projet, estimé à 450 000 euros pour la partie étude, vient en compléter un autre, de plus grande envergure : le renouvellement urbain du quartier dans sa globalité. Portée par la métropole et la ville, l’opération, évaluée à 250 millions d’euros, a été lancée en grande pompe en 2022 pour «éviter la ghettoïsation du quartier, l’un des plus pauvres de la métropole», commente Franck Raynal, le maire Horizons de Pessac. Il prévoit la réhabilitation de chaque habitation au cours des dix prochaines années ainsi que la démolition de trois tours. «Nous espérons que la tour n° 8 sera le symbole du renouveau du quartier car bien trop souvent, Saige reste le dernier choix en matière de logement social. On y vient quand on n’a rien d’autre. Ma principale prise de conscience a aussi été de voir les retards d’apprentissage de plusieurs élèves scolarisés ici. Nous sommes en défaillance totale», concède l’élu.
«Très attachés à leur quartier»
«J’attends de voir ce qui va être fait. J’habite ici depuis vingt ans, ils ne sont pas les premiers à vouloir changer les choses sans que rien ne se passe, constate Christie, logée au quatorzième étage de la tour n° 8. Mais surtout, on se demande où on va être relogé si tout ça se concrétise.» Une inquiétude partagée par de nombreux riverains. «Les habitants ont parfois le sentiment d’être parqués en dehors de la ville et de vivre dans des conditions indignes, mais ils sont aussi très attachés à leur quartier», expliquent Alice Heurlin et Agathe Taurel. Fondatrices d’Alga Médiation, les deux femmes ont réalisé en 2022 un documentaire sur la cité. Des heures d’entretien dont elles se souviennent avec émotion. «Les personnes que nous avons rencontrées sont par exemple très fières du multiculturalisme à Saige. Beaucoup de nationalités se côtoient, cela crée des échanges riches. Ce qu’ils craignent le plus, c’est de voir de nouveaux habitants remplacer les anciens. Que l’identité du quartier soit dénaturée.»
Valoriser sans faire table rase
Comment décider ce qui doit être préservé et ce qui n’a pas vocation à l’être ? «Le patrimoine, ça n’est pas que les cathédrales et Stéphane Bern», lance Gwenaëlle Legoullon, maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’université Lyon-III. C’est aussi, on y pense moins, «ce qui constitue l’ordinaire du tissu urbain». Ainsi des grands ensembles. Présents dans quasiment toutes les grandes communes urbaines de France, ils ont fortement marqué l’histoire des territoires et des populations. Comment envisager de les rayer de la carte ?
Bien sûr, des démolitions, au cas par cas, peuvent parfois être nécessaires. Faire table rase de ce passé peut aussi rejoindre des enjeux financiers (cela coûte parfois moins cher que de réhabiliter) et politiques (en détruisant une barre, on agit vite, on marque les esprits et on détruirait les problèmes sociaux qui iraient soi-disant avec). Une «solution de facilité», aux yeux de Gwenaëlle Legoullon, qui a moins cours aujourd’hui. Si on démolit encore, et parfois de façon brutale, la dynamique de réhabilitation patrimoniale s’impose depuis les années 1990. Les fragilités sont réelles : le chantier de la rénovation énergétique est colossal. Mais les grands ensembles ont aussi des réussites à leur actif : ils ont notamment permis de limiter l’étalement urbain. Christelle Granja
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