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Delirium et Body Puzzle de Lamberto Bava témoignent de la phase terminale, et des derniers beaux restes du giallo, ce genre du thriller maximaliste italien tué par la télévision dans les années 80-90, en même temps que tout le cinéma populaire transalpin. Avec le Ginger et Fred de Federico Fellini sorti l’année précédente (1986), le premier, présenté en France sous le titre plus plan-plan de Sentences de mort, est un instantané de la vulgarité culturelle berlusconienne d’alors : un studio de cinéma y est utilisé comme plateau de séance de photos dénudées, infra-régime d’images où se complaît un tueur occupé à décimer l’entourage de Gioia, patronne d’un magazine de charme.
«A-t-on bien fait de le refaire ?» est la teneur du premier dialogue de Delirium. Comment refaire avec tous les poncifs du genre, les meurtres stylisés et les lieux tortueux, la police inepte et le voyeurisme exacerbé, les traumas en guise de pneuma et les acteurs suspects habituels, comme Daria Nicolodi ? Collaborateur de son père Mario et de Dario Argento, premiers exégètes du giallo, Lamberto Bava a tout vu et peut se permettre d’être à la fois réflexif, parodique et jusqu’au-boutiste lorsqu’il livre ses morceaux de bravoure très contrastés. D’un côté ceux, les plus célèbres, filmés aux filtres bleu et rouge, où le tueur voit ses victimes comme des créatures surréalistes : une femme muée en cyclope de piscine ou une autre en abeille au bain, incarnée par Sabrina Salerno, future interprète du tube aquatique Boys (Summertime Love). De l’autre, des séquences au minimalisme finalement plus réussi, dans lesquelles Gioia est traquée dans un magasin de vêtements de style Kiabi, où un escalator et des plans en plongée/contre-plongée savamment agencés provoquent la frousse.
Telle une vanité grotesque
Delirium ressasse, mais pas plus ni moins que son assassin – et tous les assassins de giallo – occupé à retrouver et dépasser une image mentale de son passé, et Bava sait redonner un peu de sens à ces coups de couteau, pour prendre du recul avec l’emballage de thriller érotique, en juxtaposant, telle une vanité grotesque eighties, les mortes avec les nus artistiques du photographe de stars Angelo Frontoni. Et même si c’est dérisoire, c’est un personnage hitchcockien – mateur en fauteuil roulant et rivé à son télescope – qui sauve la mise. Le cinéma est (presque) gagnant.
Sur une tonalité plus mineure, Body Puzzle (1992) est troussé par un Bava alors plus préoccupé par le petit écran (en particulier, la mini-série de fantasy la Caverne de la rose d’or, un temps en boucle les dimanches sur M6). Une confection plus atone étouffe les outrances du postulat – un tueur œuvrant avec Une nuit sur le mont Chauve de Moussorgski au walkman. Mais au détour de meurtres sous-marins ou dans une école d’aveugles, Bava montre qu’il n’a pas perdu la main. Refaire (un giallo, le corps d’un être aimé, d’où le «body puzzle») est encore la préoccupation du film, mais avec cette fois un étrange flottement raccord avec son twist – une confusion d’identité, géniale ou stupide selon l’humeur du spectateur – et la réticence presque mélancolique de l’assassin dans l’acte : celle aussi d’un cinéaste qui voudrait secrètement passer à autre chose.
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