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Photographie
Exposé à la galerie Dix9 Hélène Lacharmoise, le photographe allemand Sebastian Riemer, détournant des clichés de banques d’images, produit un commentaire intelligent et émouvant sur l’IA.
Les tirages répondent aux noms énigmatiques de Bu Mae, Asi Wo, Euro Fi et même Ka Cla… Ce ne sont ni des RER ni des articles de chez Ikea, mais les images d’un talentueux photographe allemand. A la galerie Dix9 Hélène Lacharmoise (Paris), dans son exposition «Kosmos 1 – 0», Sebastian Riemer présente des grilles de carrés monochromes, carreaux de halos fracturés (rose, vert, violet, bleu, jaune vif aussi). Ces images abstraites, en très grand format, rappellent les glitchs – les défaillances des images des débuts de l’ère numérique. Chatoyantes, elles sont néanmoins très structurées, et surtout très sensuelles, vibrantes comme de la gelée sucrée, attirantes comme la luminosité d’écrans dans la nuit. La série s’appelle d’ailleurs «Screen» et il y a une explication à ces titres énigmatiques.
Séduisants brouillards de pixels colorés
Bu Mae, Asi Wo et Euro Fi sont en fait des noms amputés, dont il ne reste que la racine. Le nom sectionné décrit ce qu’il y avait sur les images avant qu’elles ne deviennent ces séduisants brouillards de pixels colorés. Sur les photos, on pouvait voir des politiciens, un chêne, une dispute entre deux personnes… C’était dans le monde d’avant. Car dans celui de Sebastian Riemer, un ouragan est passé par là. «Screen» est l’histoire d’une destruction. Pour créer sa série, l’artiste allemand a travaillé à partir de clichés de banques d’images, des visuels de stock produits à la chaîne pour l’illustration et la publicité. Il s’est servi des outils et algorithmes standards de Photoshop pour compresser et décompresser les clichés choisis, passant de fichiers de plusieurs millions de pixels à des images de 40 à 50 pixels. Ce qui donne, en fin de compte, ces superbes photographies hypnotiques.
Ancien élève de la Kunstakademie de Düsseldorf, où il est désormais enseignant, Sebastian Riemer a étudié avec Thomas Ruff et Christopher Williams. Il poursuit la réflexion de ses pairs sur son médium. Sa série «Screen» n’est pas simplement belle, elle est aussi intelligente. Que devient la photographie à l’heure de l’IA ? Une éblouissante soupe de pixels. Une bouillie séduisante avec des grumeaux carrés. Réflexion sur la photographie numérique, «Screen» met le focus sur les plus petits éléments qui constituent les images. L’arrivée des IA et des générateurs d’images – ces robots qui créent des visuels à partir de consignes écrites – plonge la photographie dans un bain d’acide dont il ne reste que des lambeaux.
Ere de la destructibilité technique
Désormais les IA, entraînées sur des milliards d’images, créent «de “l’information” à partir de pratiquement rien, grâce aux règles d’un algorithme et de l’apprentissage automatique», explique Riemer. Le photographe met sous nos yeux ce «pratiquement rien» à partir duquel l’IA compose des images selon un processus que personne ne comprend vraiment. Ce chaos créé par l’IA suit «la loi de l’entropie» selon Riemer. La loi de l’entropie ? C’est une loi physique qui dit que toute composition physique, chimique, biologique, qui ne reçoit plus d’information, tend à retourner à la poussière, à la dispersion. Broyées par les IA, les images s’usent donc naturellement. L’art à l’âge de l’IA n’est plus à l’ère de la reproductibilité technique comme le théorisait Walter Benjamin mais à l’ère de la destructibilité technique. De ce chaos naîtra autre chose. Attention, «Screen» n’a pas été générée par IA, elle est un commentaire. Ces très belles images sont à la fois des particules élémentaires et des preuves, tangibles, émouvantes d’une forme de photographie.
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