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Bagages sur le dos, ils ont circulé toute la matinée mercredi 22 janvier sur la route menant au centre-ville de Goma, capitale de la province du Nord-Kivu, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Les déplacés affluent de Minova, cité portuaire conquise par le M23, un groupe armé soutenu par Kigali qui ne cesse de gagner du terrain aux dépens de l’armée congolaise, dans une région où le conflit redouble d’intensité depuis le début de l’année.
Certains déplacés ont déjà dû fuir leur foyer à plusieurs reprises, au gré des soubresauts d’un conflit qui dure depuis plus de trente ans, et depuis 2021, des percées successives du M23 et des reculs de l’armée congolaise. «Partout où nous allons, nous nous retrouvons dans une situation incertaine», se désespère Anuarite Nabintu, une déplacée rencontrée par l’AFP sur la route.
En s’emparant de Minova, située à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Goma, le M23 qui encerclait déjà pratiquement la ville, a encore resserré son étreinte. Les positions du M23 et des Forces armées congolaises (FARDC) ne sont plus séparées que par un étroit bras d’eau. Au sud-est, une presqu’île menant à Minova et occupée par le groupe armé. Côté nord, le port de Nzulo, à proximité de la capitale provinciale sur la même rive.
Pour répondre à cette nouvelle menace, l’armée congolaise a annoncé mercredi dans un communiqué la suspension de la circulation des petites embarcations sur le lac, afin d’éviter les infiltrations ennemies. Les FARDC ont également déployé de l’artillerie lourde à proximité du port de Nzulo et des camps de déplacés non loin, selon des sources humanitaires, provoquant l’exode des populations.
Contrôlé «de facto» par le Rwanda
Depuis plusieurs semaines, les affrontements entre le M23 et l’armée congolaise se sont intensifiés, provoquant un afflux de blessés dans les hôpitaux et une nouvelle vague massive de déplacés (237 000 depuis début janvier, selon l’ONU). Mardi, l’armée a reconnu «une percée» de «l’armée rwandaise et ses pantins du M23» après la prise de Minova, nœud commercial ravitaillant Goma, distant d’une cinquantaine de kilomètres par la route mais seulement d’une vingtaine en traversant le lac Kivu.
En juillet, un rapport d’experts de l’ONU a établi que 3 000 à 4 000 soldats rwandais combattent au côté du M23, avec de la technologie militaire de pointe, et que le Rwanda a «de facto» pris le «contrôle et la direction des opérations du M23». Kigali n’a jamais explicitement reconnu une agression territoriale en RDC.
Le soutien du Rwanda ainsi que la faiblesse des FARDC profitent aux combattants du M23, selon experts et observateurs, qui n’excluent pas une prochaine offensive sur Goma, ville de plus d’1 million d’habitants au cœur des richesses et des conflits qui déchirent la région depuis plus de trois décennies. A ce stade, «rien n’empêche le M23 et le Rwanda d’essayer de prendre Goma», estime Reagan Miviri, chercheur à l’institut congolais Ebuteli. «Le processus de Luanda n’est plus là, la pression américaine n’est plus là. Le Rwanda n’a rien à craindre, il semble assumer cette agression», résume le spécialiste.
«Nous allons probablement tous partir aussi»
Mercredi matin, les déplacés fuyant Minova se sont mêlés à d’autres qui craignaient des échanges de tirs entre belligérants et ont fui leurs camps situés dans les zones sous contrôle de l’armée congolaise. Certains ont trouvé des familles d’accueil dans le centre-ville ; d’autres se sont dispersés dans les nombreux camps entourant Goma, où s’entassent plus de 100 000 personnes dans des conditions humanitaires extrêmement précaires.
Dans le camp de Sam Sam, à quelques centaines de mètres des camps évacués et de potentiels combats à venir, la plupart des habitants ne se sont pas encore résolus à fuir. Mais les visages sont inquiets. «Si la situation persiste, même les locataires de ce camp devront partir vers la ville de Goma, s’inquiète Kadibanga Batungi, résident du camp. Ces gens ne peuvent pas accepter de vivre ici avec le M23 à proximité. La présence des déplacés de Nzulo nous réconfortait, mais comme ils viennent de partir, nous allons probablement tous partir aussi.»
Le camp déjà bondé a reçu environ 500 déplacés de Minova depuis que les violences se sont intensifiées dans la zone, selon Aristide Sadiki Bichichi, secrétaire du camp. «Ils mènent une vie plus difficile que nous», déplore-t-il. Les ONG interviennent difficilement dans les environs à cause des risques de bombardements.
Réputée pour son inefficacité et ses pillages
Livrés à eux-mêmes, certains habitants du camp de Sam Sam laissent éclater leur colère. «Nous avons laissé nos ménages, nos enfants, nos biens. On ne sait pas ce que fait le gouvernement !» s’indigne David Bonzi, un déplacé venu du territoire voisin de Masisi, en partie occupé par le M23. «Nous appelons notre gouvernement à nous approvisionner en armes», lance-t-il face à un groupe de jeunes ruisselants sous la pluie.
Réputée pour son inefficacité et ses pillages, l’armée congolaise n’a que rarement récupéré les territoires perdus ces derniers mois. «L’armée congolaise va allouer une quantité importante de ressources pour pouvoir submerger le M23 à un niveau très local lorsqu’il s’agit de reprendre une ville ou un village spécifique», explique Remi Dodd, analyste du réseau RANE pour l’Afrique subsaharienne. Mais «corruption, équipement inadéquat, perte de moral et indiscipline […] entravent sa capacité à répondre au M23».
Au centre-ville de Goma, où résonne parfois le bruit lointain des armes, une apparente normalité règne encore. Commerces et services sont ouverts, policiers et militaires veillent aux intersections. Malgré les tensions diplomatiques, le poste frontière entre la RDC et le Rwanda est ouvert et de nombreux ressortissants des deux pays voisins circulent dans les deux sens.
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