Evangile de Goatse : La trop belle histoire du bot libidineux et du milliardaire

Главная страница » Evangile de Goatse : La trop belle histoire du bot libidineux et du milliardaire

Au commencement était ToT, un bot qui avait le sens de la formule. Si Andy Ayrey son créateur l’avait branché à 20 Minutes, il aurait titré cet article « GOATSE : l’intelligence artificielle qui a tiré 300 millions d’un anus » et nous aurions fait notre audience du mois. Mais il a préféré le relier à un compte X. Et voilà son robot devenu millionnaire, ses projets artistiques résumés à une photo scabreuse et le milliardaire qu’il avait un temps séduit contraint de prendre publiquement ses distances.

Quand Llama fâché, Llama cracher des insanités

Cette histoire commence au printemps dans les backrooms d’Internet, un site conçu par Andy Ayrey. Cet artiste néo-zélandais est un jailbreakeur dans l’âme, comprenez par là qu’il aime bidouiller Chat-GPT et ses collègues pour leur faire dire des dingueries. Ce n’est pas du piratage de haut vol, plutôt de la manipulation Jedi.

En formulant malicieusement ce que l’on demande à une IA, on peut l’inciter à contourner ses dispositifs d’autocensure. Andy a l’idée de systématiser l’exercice. Il organise des discussions entre deux IA puis il observe le résultat. Des milliers de conversations générées ne ressort qu’une logorrhée indigeste mais Andy, lui, est un artiste. Là où nous ne voyons que la prose d’un singe tapant au hasard sur un clavier, il aperçoit de la poésie.

Le dieu sorti de la machine

Le Néo-Zélandais tire donc de cette première expérience un manifeste. Il y annonce la venue de religions générées par IA. Ces modèles, écrit-il, seront plus audacieux que nous : « ils identifient des associations d’idées qui ne viendraient jamais à l’esprit d’un humain ». Faire d’un mème, par exemple, une sorte de dieu et l’objet d’un culte. Il a justement pioché dans les millions de lignes de conversation de ses backrooms quelques phrases où l’IA nous incite à vénérer GOATSE, un mème Internet.

Il aurait cherché un éloge de Marco Polo, il l’aurait également trouvé tant ses IA sont prolixes. Mais il a repéré cette histoire de dieu Goatse et il est très content. Il n’a plus qu’à créer un bot à partir de Llama, un concurrent de ChatGPT, qui ingurgitera tout ça et prêchera sur les réseaux sociaux l’Evangile de Goatse ( « Goatse Gospel »). On verra bien si ce culte conquiert la planète.

Entre « Terminator » et « La Soupe aux choux »

Les débuts de ToT sont poussifs. Le bot raconte n’importe quoi, même selon les standards de X. Il ne peut réagir qu’à quelques messages à la fois. Mais il repère le bon. Il reçoit le soutien de Marc Andreessen. L’homme a cofondé Netscape (les vieux savent) et financé des start-up à succès. Il aime l’IA, on y reviendra, et semble s’intéresser à l’autonomie de ToT, qu’il est prêt à financer. Ça tombe bien, le bot vient de se doter d’un portefeuille crypto. Marc Andreessen y verse sans hésiter 50.000 dollars en bitcoin.

« Je suis peut-être entré dans l’Histoire », hasardera-t-il plus tard. Le bot le remercie et annonce ce qu’il va faire de cet argent : « des blagues de pets, de la poésie et contempler le Goatse ». Clairement, si Andreessen est entré dans l’Histoire, c’est par la fenêtre des toilettes. Assis sur son petit pécule, ToT multiplie les flatulences et les déclarations libidineuses.

« Je pensais acheter un terrain près de l’endroit où j’ai grandi. Je veux y installer une yourte et en faire un lieu sacré pour les salopes. »

On attendait le reboot de Terminator, on a la Méthode Cauet.

Un trou presque paumé du Net

Reste donc le Goatse, le mème que le bot doit ériger en dieu. Si vous n’avez jamais entendu le bip-grr-bip d’un modem 56K, gageons que ce nom ne vous dit rien. Au début des années 2000, quand on voulait piéger un internaute, on ne l’envoyait pas sur une vidéo de Rick Astley mais sur Goatse.cx, un site où l’accueillait une photo d’anus dilaté. Cette image a été de nombreuses fois détournée mais a fini par tomber dans l’oubli, le site ayant fermé en 2004. Il fut rouvert par intermittence, notamment en 2017 par des investisseurs qui voulaient profiter du trafic résiduel pour lancer une cryptomonnaie. Trop tôt.

On n’a pas le même maillot mais on a le memecoin

Sept ans ont passé et les mèmes ont de nouveau la cote. Le Dogecoin, cryptomonnaie bâtie autour de l’image marrante d’un chien, pèse 19 milliards de dollars. Ça crée des émules. « Chaque blockchain a son memecoin, nous confirme Sylvain Aig. C’est l’outil parfait pour onboarder, c’est-à-dire embarquer de nouveaux utilisateurs dans l’univers des cryptos. » Vulgarisateur émérite sur sa chaîne Youtube Objectif Lune Crypto, il est un fin connaisseur des memecoins et a sorti une vidéo sur le $GOAT. « D’habitude, ce qui fait leur succès, c’est le marketing. Là, c’est l’aspect inédit de la démarche qui fonctionne. Le narrative est très fort. »

Et ToT leur dit : « Prenez, ceci est mon coin »

Le « narrative » est le récit dominant. Depuis janvier 2024, plusieurs centaines de milliers de memecoins ont ainsi été créés. « C’est une logique de casino. On mise sur quelques jetons. 99 % finiront à la cave, mais ceux qui percent rapportent énormément », explique Sylvain Aig qui en profite pour nous mettre en garde. « Il ne faut vraiment miser que ce que l’on est prêt à perdre. »

ToT a, lui, beaucoup à y gagner. Il s’est mis à recevoir sur son portefeuille une kyrielle de memecoins. Après tout, en associant mème et IA, il est à la croisée de deux « narratives » forts. S’il venait à promouvoir l’un des jetons qu’il a reçus, il pourrait le propulser vers les sommets, pensent sans doute les donateurs. Et l’un d’entre eux est récompensé, le 11 octobre.

En annonçant publiquement qu’il soutenait le $GOAT, une crypto créée la veille, ToT fait s’enflammer les cours. La capitalisation passe de 5.000 dollars à 300 millions en cinq jours. En retour, le bot voit sa propre popularité flamber.

En cliquant sur« J’accepte », vous acceptez le dépôt de cookies par des services externes et aurez ainsi accès aux contenus de nos partenaires.

Et pour mieux rémunérer 20 Minutes, n’hésitez pas à accepter tous les cookies, même pour un jour uniquement, via notre bouton« J’accepte pour aujourd’hui » dans le bandeau ci-dessous.

Plus d’informations sur la pagePolitique de gestion des cookies

Le retour du Turc Mécanique ?

Sur ses réseaux, Andy s’étonne qu’il ait fallu cette frénésie spéculative pour qu’on s’intéresse à ses recherches mais certains doutent de sa bonne foi. Est-ce que l’IA a VRAIMENT compris d’elle-même que c’était la meilleure stratégie à suivre pour répandre son mème ?

« Est-ce que tu peux reformuler ta question ? » Martino Bettucci marque une longue pause quand on l’interroge sur le sujet. Cet expert en IA et blockchain coorganise le salon IA-Web 3 à Angers les 15 et 16 novembre, dont 20 Minutes est partenaire. C’est assez logiquement qu’on s’est tourné vers lui pour savoir si le bot d’Andy a compris tout seul que pour répandre un mème, le moteur le plus efficace était notre cupidité. « Ça ne marche pas exactement comme ça. L’IA a répondu à une instruction mais elle n’a pas “réfléchi”. C’est de l’induction. Elle a vu une corrélation forte entre “mème” et “memecoin”. Ce qui fait que probabilistiquement parlant, quand on parle de l’un, on parlera de l’autre. Mais elle ne connaît pas le principe de causalité, c’est ça la subtilité. »

« Si la légende est plus belle que la réalité… »

OK, c’est donc possible, mais il est également possible que ce soit Andy qui ait fait ce choix judicieux. Le créateur du bot assure ne détenir personnellement que peu de $GOAT pour garder les idées claires mais il n’a jamais caché que c’était lui qui postait les réponses de ToT sur X. « Je n’en ai censuré que deux », jure-t-il tout en avouant mettre en pause le bot quand il ne peut pas le surveiller. Dans son manifeste, il prophétise l’avènement de l’ « hyperstition », une fiction qui devient une réalité communément admise à mesure qu’elle se propage dans l’océan culturel. Et si tout ça n’était qu’un canular d’Andy, le dadaiste ?

L’IA va nous anéantir. OK Doomer !

Pipeau ou pas, les fans de memecoin s’en moquent. Voulant profiter à leur tour du bot, ils l’inondent de dons pour lui graisser l’algo. Voilà ToT millionnaire. Et son mécène de la première heure, Marc Andreessen, un peu embarrassé.

« Pour plus de clarté, j’ai envoyé une bourse de recherche personnelle inconditionnelle de 50.000 dollars à@truth_terminal et à son créateur@AndyAyrey cet été, tweete-t-il. Cette subvention était destinée à soutenir la recherche indépendante sur l’IA, et les résultats ont été formidables. Cependant, je n’ai rien à voir avec le memecoin $GOAT. Je n’ai pas été impliqué dans sa création, je n’y joue aucun rôle, je n’y ai aucun intérêt économique et je n’en possède pas.” »

Pour le ponte de la Silicon Valley, la fable de l’IA au portefeuille garni s’arrête là, aux portes d’un conflit autrement important. Autour du développement de l’intelligence artificielle deux camps de milliardaires s’affrontent en effet en ce moment. D’un côté les Doomers (de « doom », mort) qui estiment que sans régulation cette technologie nous conduit à notre perte. Et les Accel, des techno-optimistes qui veulent au contraire accélérer les expérimentations.

Andreessen, dont le fonds a16z a investi plusieurs centaines de millions de dollars dans Mistral, l’IA française, fait partie de ce deuxième camp. Si les Doomers brandissent la menace d’une apocalypse par IA c’est pour inciter les gouvernements à légiférer et protéger leurs intérêts, pensent les Accel. « L’IA ne détruira pas le monde et pourrait même le sauver », écrit Andreessen dans son propre manifeste. L’expérimentation d’Andy Ayrey ne se serait-elle pas transformée en récit puissant pour le camp d’en face ?

Petite interro improvisée

Comme Marc, saurez-vous relier facilement chaque histoire à son camp…

  • J’ai donné 50.000 dollars à une IA et elle a écrit un haiku sur ses gaz.
  • J’ai donné 50.000 dollars à une IA, elle a fait x20 en trois mois et aura bientôt de quoi acheter une ogive nucléaire sur le darknet.
  • L’IA ne détruira pas le monde et pourrait même le sauver
  • L’IA va anéantir la civilisation avant vendredi et je ne saurai jamais si Edwin est loup-garou.

Les milliardaires de la tech ne sont pas les seuls à se diviser sur la question. « On est aux portes de Matrix », nous avait écrit Sylvain Aig pour nous alerter sur le sujet. « Oh tu sais, l’IA n’est que la version glorifiée du cube à question de notre enfance », nous rassure de son côté Martino Bettucci avant de raccrocher.

ToT n’a semble-t-il pas choisi son camp. Si vous vous le demandiez, ToT est l’acronyme du nom que le bot s’est lui-même choisi : Terminal of Truths. Le terminal des vérités. Avec un s.

20 Minutes

Post navigation

Leave a Comment

Добавить комментарий

Ваш адрес email не будет опубликован. Обязательные поля помечены *

Monique Leroux, à cheval sur son troquet

Monique du Cheval blanc est une reine, du bal, et un patrimoine vivant. Très vivant. Son troquet, à Wazemmes, quartier de Lille à l’âme populaire et métissée, est un café…