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Le jeudi 19 janvier 2023, la manifestation parisienne contre la réforme des retraites réunit 80 000 personnes selon la police, et 400 000 d’après l’intersyndicale. Vers 16 heures, l’avant du cortège a parcouru moins de la moitié du chemin entre la place de la République et celle de la Nation. Les manifestants se trouvent sur le boulevard Beaumarchais, à proximité de la Bastille. Des tensions éclatent, les policiers interviennent à plusieurs reprises, chargent, et sont la cible de projectiles.
Pour se distinguer des personnes qui commettent des dégradations ou forment un black bloc, généralement habillées en noir, Ivan S. porte un bonnet bordeaux et une grande veste kaki. Avec son appareil photo, il gravite dans un grand groupe de personnes en amont du cortège syndical, dans lequel se trouvent de nombreux autres photographes et vidéastes. En première ligne, côté forces de l’ordre, il y a notamment les agents de la 31e compagnie d’intervention (31CI). Ces unités de la préfecture de police de Paris sont habituées au maintien de l’ordre et sont déployées en «brigade de répression de l’action violente» (Brav) lors des manifestations – et en Brav-M quand elles empruntent des motos.
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Sur la gauche du boulevard Beaumarchais, face au cortège, les fonctionnaires de la 31CI reculent, abrités derrière leurs boucliers, alors qu’un homme leur lance de gros morceaux de bois. Puis, profitant qu’il soit acculé contre une vitre, quelques membres de la compagnie sortent subitement du rang et courent vers lui. Ils l’interpellent. Mais au cours de ce bond offensif, deux agents vont bien au-delà de cette cible. Des vidéos, prises depuis différents angles et diffusées en ligne, permettent de reconstituer la scène. Avançant de plusieurs mètres au-devant de leurs collègues, les deux policiers atteignent Ivan S., qui est alors à terre entre une poubelle et un lampadaire. L’un des fonctionnaires lui assène un coup de pied. Ivan S. chute du trottoir sur la chaussée. Et alors qu’il est toujours au sol, sur le dos, et qu’il tient à bout de bras, en l’air, son appareil photo, le second policier lui assène du haut vers le bas un coup de matraque au niveau de l’entrejambe. Puis les deux agents de la 31CI regagnent leur rang, sans interpeller ni apparemment s’inquiéter de l’état de santé du photographe.
«Incapacité de travail permanente»
Le soir du 19 janvier 2023, Ivan S. se rend à l’hôpital car la douleur est trop intense. Il est opéré. Son testicule droit, que le coup de matraque a explosé, est retiré. «C’est un travail d’apprendre à vivre sans une partie de moi», déclare à Libération le vingtenaire franco-espagnol, peu après les faits. Près de deux ans plus tard, son avocate, Me Lucie Simon, «ne cesse de mesurer les conséquences dramatiques de cette mutilation sur [son] client». Et de déplorer : «Alors que les policiers ont immédiatement été identifiés, que les vidéos sont sans appel sur l’absence de légitime défense, mettant en lumière un geste gratuit, barbare, l’instruction judiciaire est au point mort et nos demandes sont ignorées.»
Trois mois après le dépôt de plainte, une information judiciaire est ouverte, le 27 avril 2023, indique le parquet de Paris, récemment sollicité par Libération. Elle a été confiée à un juge d’instruction «pour enquêter sur des faits susceptibles d’être qualifiés de violence avec arme par personne dépositaire de l’autorité publique, ayant entraîné une incapacité de travail permanente». Près d’un an plus tard, les deux policiers, Pierre-Yves D. et Guillem C., ont été mis en examen et placés sous contrôle judiciaire. Cette mesure leur interdit notamment d’exercer sur la voie publique. Contactés, les avocats des deux fonctionnaires, qui sont présumés innocents, n’ont pas souhaité répondre à nos questions. Commises par des personnes dépositaires de l’autorité publique, des violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente sont passibles de 15 ans de réclusion criminelle.
Peu après les faits, qui avaient fait réagir jusqu’au porte-parole du gouvernement de l’époque, Olivier Véran, la préfecture de police de Paris déclarait : «Le préfet de police a demandé à ce que les circonstances exactes de l’incident rapporté soient éclaircies.» Sollicitée de nouveau vendredi 24 janvier pour savoir où en était ce volet administratif des investigations, et s’il avait donné lieu à des sanctions, la préfecture ne nous a pas répondu.
Edit à 16h45 : les policiers mis en cause sont membres de la 31e compagnie d’intervention, et non de la 12e, comme écrit par erreur.
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