En lévitation, François Bayrou ? Quasi assuré de survivre ce mercredi aux deux motions de censure déposées par La France insoumise contre ses textes budgétaires, grâce à l’abstention des socialistes et du RN, le Premier ministre a été ramené sur terre mardi matin par ses alliés du groupe Horizons. Un «dialogue libre et franc», comme on dit quand on a des comptes à régler. La vice-présidente de l’Assemblée Naïma Moutchou a reproché au centriste son «Scud» lancé contre Edouard Philippe dans la Tribune Dimanche. Bayrou avait jugé «antinational» le fait que le patron d’Horizons considère que «rien de décisif» ne serait mené à bien dans les deux ans qui viennent, à cause d’une Assemblée nationale éclatée. Un simple «bourre-pif», a minimisé le Palois, en bon fan de rugby. Plus gênant, il a essuyé une pluie de questions sur ses projets en matière de déficit budgétaire, de retraites ou d’immigration. «Pas question d’être immobile», a répondu Bayrou, «jamais résigné».
Philippe et ses troupes appuient là où ça fait mal. Sur l’incapacité du Premier ministre, même libéré du boulet du budget, à agir en grand. «Il serait mieux d’avoir l’honnêteté de dire aux Français que dans le contexte actuel on peut gérer l’Etat, faire passer quelques mesures, mais pas réformer des sujets complexes, lourds, et absolument pas consensuels», juge le député Horizons Frédéric Valletoux. Sans pouvoir le dire aussi ouvertement, dans le camp présidentiel, on partage le diagnostic des philippistes. «Les réformes structurelles et difficiles ne pourront pas être engagées car personne ne voudra perdre des plumes», anticipe un conseiller ministériel. «Est-ce qu’on peut faire des choses sans froisser personne ?», fait mine de s’interroger un autre. Et un ancien ministre de dépeindre Bayrou en «Premier ministre syndic de copropriété. C’est ça qui lui déplaît mais c’est la vérité. On lui demande de faire cohabiter les gens de manière harmonieuse dans l’immeuble, pas d’engager des grands travaux.»
Le Premier ministre semble pourtant décidé à remettre du charbon dans la machine. Dès le budget pour 2025 adopté, il compte… préparer l’édition 2026. Chaque ministère sera prié de se lancer dans une revue de ses missions, le but étant de ne pas reconduire automatiquement les dépenses de l’année précédente, mais d’examiner l’efficacité des politiques publiques. Exploitant ad nauseam la métaphore de «l’Himalaya» qu’il voit dressé devant ses fenêtres de Matignon, il assure vouloir s’attaquer aux autres «sommets de 8 000 mètres» – éducation, sécurité, justice, outre-mer, santé, etc. Des cordées de ministres ont commencé à se rendre à Matignon pour phosphorer par groupes de travail aux intitulés jargonnants. Une réunion a eu lieu jeudi dernier sur le thème «renforcer notre compétitivité et notre croissance». Mardi, d’autres ont échangé sur la manière «d’assurer la résilience des territoires». Une autre partie du gouvernement, toujours autour de Bayrou, doit se demander, jeudi, comment «former les citoyens de demain pour tenir la promesse républicaine».
A la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, qui réclamait de la visibilité sur les travaux des prochains mois, le ministre des Relations avec le Parlement, Patrick Mignola, a promis d’adresser, dès l’adoption du budget, le calendrier législatif allant jusqu’à juin. Plusieurs textes doivent poursuivre leur aller-retour entre Sénat et Assemblée, comme le projet de loi d’orientation agricole, ceux sur la reconstruction de Mayotte ou sur la simplification économique et la proposition de loi sur le narcotrafic. Dans leur «niche», les députés LR tenteront jeudi de faire adopter une proposition de loi restreignant le droit du sol à Mayotte mais s’attendent à une salve d’amendements de la gauche.
D’autres sujets sensibles doivent encore être tranchés. Privé de «loi Retailleau», trop inflammable, le ministre (LR) de l’Intérieur compte sur les sénateurs de son camp pour faire passer ses mesures sur l’immigration à la découpe, dans des propositions de loi. Mais le gouvernement pourrait-il les inscrire à l’Assemblée ? «Je ne mettrai pas un orteil là-dedans», se carapate un conseiller gouvernemental. Laissé en suspens depuis la dissolution, le débat sur la fin de vie pourrait reprendre mais la commande de Bayrou, qui suggérait de scinder le sujet – renforcement palliatif d’une part et instauration d’une aide à mourir de l’autre – a provoqué une vive contestation chez les députés partisans d’une avancée législative. Le gouvernement fait miroiter une discussion commune, peut-être fin mai.
Défenseur de la proportionnelle aux législatives, le Premier ministre ouvrira-t-il ce chantier ? Certains députés y réfléchissent pour lui. A ce jour, c’est plutôt sur le mode d’élection des maires de Paris, de Lyon et de Marseille, que Bayrou semble vouloir se pencher. Après un déjeuner lundi, révélé par le Parisien, avec deux députés EPR de Paris, Sylvain Maillard et David Amiel, porteurs d’une proposition dite «PLM», il a abordé le sujet avec les responsables de son camp, mardi matin. Pas opposé sur le fond, le président du groupe EPR, Gabriel Attal, a glissé qu’il ne faudrait pas donner le sentiment aux Français de se concentrer sur des règles du jeu électorales. D’autant qu’une telle révision, à un an à peine des municipales, peut électriser.
D’ici là, où en sera le gouvernement Bayrou ? Et s’il chutait dès la semaine prochaine, avec la motion de censure spontanée des socialistes pour condamner ses propos sur le «sentiment de submersion» migratoire ? «Je ne suis pas serein, avoue le conseiller d’un ministre, craignant que les voix du RN se portent par opportunisme sur le texte du PS. S’ils veulent nous faire sauter, tous les moyens sont bons.» Plutôt à la fin de la concertation des partenaires sociaux sur les retraites au printemps ? Syndicats et patronats doivent commencer leurs discussions après la remise du diagnostic financier de la Cour des comptes, le 19 février. En l’absence d’accord, la gauche et le RN pourraient joindre leurs voix pour sanctionner un gouvernement qui refuse de revenir sur l’âge légal de départ de 64 ans. S’il est encore là à l’automne, Bayrou vivra une nouvelle saison à haut risque avec l’examen du budget 2026. Entravé, souvent. En sursis, toujours.
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