C’est le début d’une longue bataille à l’Assemblée nationale. Après les échanges houleux en commission, les députés entament ce lundi soir l’examen du volet recettes du budget de l’Etat 2025 dans l’Hémicycle. Mais les parlementaires pourront-ils vraiment discuter de l’ensemble des mesures ? Michel Barnier évitera-t-il le passage en force du texte par l’utilisation de l’article 49.3 ? On fait le point sur les questions autour de ce premier grand défi pour le gouvernement.
La motion de rejet insoumise va-t-elle clore les débats ?
Les premiers échanges ont déjà été mouvementés ce lundi après-midi sur la motion de rejet préalable déposée par les insoumis. Ce dispositif permet de balayer un projet de loi avant même d’en débattre et de l’envoyer directement au Sénat, où le gouvernement dispose d’une majorité. Si cette perspective n’a aucune chance d’aboutir, puisque le RN ne s’y associe pas, les insoumis ont indiqué vouloir utiliser cette tribune comme un symbole. « On sait qu’elle ne passera pas, on n’a pas envie qu’elle passe », mais « ce n’est pas de trop pour expliquer en quoi ce budget est mauvais », a expliqué Eric Coquerel ce lundi sur RTL.
Le gouvernement peut-il garder la main ?
Articles clés supprimés, impôts renforcés pour les plus riches, taxation de superprofits des entreprises et des revenus du capital… Lors des échanges en commission, la semaine passée, le texte de Michel Barnier est passé à la moulinette des oppositions, au grand dam du chef du gouvernement, qui a dénoncé « un concours Lépine fiscal ». La copie n’a finalement pas été votée, mais ces quelques jours ont montré que l’exécutif pourrait facilement perdre la main lors des débats à venir dans l’Hémicycle.
« Sans majorité, ni même relative, le gouvernement n’a aucun moyen de tenir ses textes. Il a une capacité de manœuvre très réduite pour son budget, du jamais vu sous la Ve République », assure Benjamin Morel, docteur en Sciences politiques de l’ENS Paris-Saclay. Le Premier ministre s’est d’ailleurs agacé d’avoir dû ficeler un projet de loi aussi important dans un délai si court. « Ce genre de texte, traditionnellement bien cadré, a été déposé à la hussarde. S’il veut le modifier, pour donner des gages aux uns et aux autres, le gouvernement devra faire voter ses amendements », ajoute le spécialiste.
Le camp présidentiel va-t-il rester soudé ?
Les échanges en commission ont également montré les fractures au sein de la fragile coalition présidentielle. Les députés de l’aile droite de Renaissance souhaitent ainsi supprimer la surtaxe sur les grandes entreprises, quand leurs collègues du MoDem veulent au contraire pérenniser celle sur les hauts revenus. Par ailleurs, les cadres macronistes, Gabriel Attal et Gérald Darmanin en tête, ont plusieurs fois défié Michel Barnier sur l’augmentation des impôts ou le report de l’indexation des retraites.
« Au-delà des accusations sur la responsabilité du déficit, il y a une volonté des macronistes de préserver leur base électorale : les retraités et les classes supérieures, qui sont davantage ciblés par ce texte budgétaire », remarque Benjamin Morel. « Il y a un paradoxe : personne ne veut renverser Michel Barnier mais personne ne veut réellement le soutenir, car ce budget pourrait ensuite coller aux chaussures des macronistes », ajoute-t-il.
Le 49.3 est-il inévitable ?
Faute de majorité, Michel Barnier pourrait vite opter pour l’utilisation de l’article 49.3 de la Constitution, afin d’« éviter le blocage parlementaire », selon ses propres mots, et faire passer en force son texte. « Cela paraît inévitable », dit Benjamin Morel, « d’autant que le 49.3 permettrait au Premier ministre de garder le contrôle de son texte ». Dans ce cas de figure, le gouvernement pourrait sélectionner les amendements qu’il souhaite apporter à la copie finale du projet de loi.
Un atout pour maintenir l’objectif de réduction des déficits… et pour faire face à une potentielle motion de censure, qui devrait en toute logique être déposée par la gauche. « On sera alors dans un jeu de marchand de tapis, reprend le politologue. Le Premier ministre pourra donner des gages à son camp et aller demander au RN : ”quelles sont vos conditions pour éviter de renverser le gouvernement ?” »
C’est quoi l’article 47 qui pourrait rebattre les cartes ?
Cet article de la Constitution fixe une limite de temps pour les débats budgétaires. L’Assemblée nationale dispose ainsi d’un « délai de quarante jours » pour se prononcer sur le texte. Si tel n’était pas le cas, le gouvernement transmettrait alors la copie directement au Sénat, qui aurait deux semaines pour se prononcer. Ces dernières heures, certains élus évoquaient la possibilité de voir les débats traîner en longueur. Et à l’issue du temps imparti, les effets de l’article 47 s’appliqueraient alors. « C’est juridiquement possible, mais politiquement très risqué. Cela reviendrait à faire l’impasse sur le travail de l’Assemblée, ce qui ouvrirait la voie à une motion de censure », prévient Benjamin Morel.
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