:quality(70):focal(2164x2030:2174x2040)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/liberation/YUW5YDHQ4FB5HEXD6JSTPBQKU4.jpg)
En pleines tensions entre les pouvoirs français et algérien, liées entre autres à la détention à Alger de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal qui dure depuis novembre, Jordan Bardella était interrogé sur les réactions à adopter, au micro d’Europe 1 – CNews, mardi 4 février. Partant du constat que «l’Algérie refuse de coopérer avec la France», le président du Rassemblement national s’est engagé, si son parti se hissait «à la tête de l’Etat», à «faire respecter l’intérêt national». Avant de promettre : «Je mettrai fin au scandale des visas pour soin, qui fait que 40 % des Algériens qui demandent un visa sur le sol français sont des visas pour soin (sic), c’est-à-dire des visas pour venir se faire soigner dans notre pays aux frais de la princesse.»
A quoi fait-il précisément référence ? D’où provient le chiffre de 40 % qu’il cite ? Contacté, l’entourage de Jordan Bardella n’a pas donné suite. Dans les dernières données sur l’immigration publiées mardi sur le site de la Direction générale des étrangers en France (DGEF), on en apprend plus sur la présence algérienne en France. Au 31 décembre 2024, les 649 991 Algériens munis d’un titre ou d’un document provisoire de séjour représentaient près de 16 % des étrangers résidant régulièrement en France. Mais rien qui permette de corroborer les propos de Jordan Bardella.
Et pour cause, l’affirmation du patron du RN est fausse, à plusieurs égards. Tout d’abord, le député européen parle «des Algériens qui demandent un visa sur le sol français». Sauf que le sujet concerne plutôt les Algériens qui demandent un visa pour venir sur le sol français. De fait, «l’essentiel des visas n’est pas délivré sur le sol français – aux frontières ou par les préfectures – mais depuis l’étranger par les chefs de postes consulaires et de missions diplomatiques», souligne le ministère de l’Intérieur auprès de CheckNews. Le peu de fois où la délivrance s’opère sur le sol national, c’est pour répondre «à certaines conditions d’urgence» qui sont «liées à des motifs d’entrée imprévisibles et impérieux». Une carte de séjour temporaire pour soins, notamment, peut ainsi être remise à un étranger si son «état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité». Mais rappelons que l’on parle ici d’une personne déjà présente en France.
Pour leur part, les ressortissants algériens qui souhaitent se rendre sur le sol français pour un motif d’ordre médical doivent solliciter, auprès des postes consulaires et diplomatiques, la délivrance de visas dits «de court séjour». A l’arrivée, ils pourront donc être autorisés à séjourner en France pour une durée correspondant à la durée des soins, sans excéder trois mois.
D’après les données transmises par Beauvau, sur l’année 2024, les postes diplomatiques et consulaires français ont délivré 489 visas de court séjour au titre des «soins médicaux» à des ressortissants algériens. Rapportés au total des visas de court séjour délivrés aux Algériens l’année dernière, qui s’élève à 228 314, les visas pour soins médicaux représentent seulement 0,21 %. En 2023, avec 518 visas pour soins médicaux, rapportés à l’ensemble des visas de court séjour délivrés (185 892), leur proportion n’était pas beaucoup plus élevée : 0,28 %. Et bien loin, donc, de la statistique mentionnée par Jordan Bardella.
Autre fantasme nourri par l’eurodéputé RN : l’idée que les visas pour soins ouvriraient le droit de se faire soigner aux frais du contribuable français. Que ce soit pour les Algériens ou les autres, «les soins médicaux dispensés en France ne sont pas gratuits», précise bien une notice publiée sur le site officiel France-Visas. Document où il est en outre expliqué que «les dettes laissées vis-à-vis des établissements de santé font l’objet d’un signalement auprès des autorités consulaires».
Comme le prévoit le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA, article R. 313-1), tout étranger dont le séjour est motivé par une hospitalisation doit présenter les garanties que les frais de santé afférents seront pris en charge, soit par un organisme d’assurance maladie, soit par un autre organisme public, soit par lui et ses proches. En ce qui concerne les Algériens, un accord a été spécialement conclu pour garantir la prise en charge par l’assurance maladie algérienne. Laquelle est comptable, au profit des assurés sociaux algériens, des soins programmés dans des établissements de santé français.
Signé en 2016, le protocole «relatif aux soins de santé programmés dispensés en France aux ressortissants algériens assurés sociaux et démunis non assurés sociaux résidant en Algérie», annexe à la convention générale de sécurité sociale entre la France et l’Algérie de 1980, est entré en vigueur le 1er février 2019. Concrètement, pour recevoir des soins en France, les Algériens doivent demander une autorisation préalable de prise en charge à l’organisme de sécurité sociale algérien, la Caisse nationale des assurances sociales (CNAS). Une fois sa demande approuvée, le patient reçoit une «attestation de droits aux soins programmés». Durant l’hospitalisation, la Caisse primaire d’assurance maladie française du lieu de l’établissement de santé (CPAM) agit pour le compte de la CNAS en s’acquittant des dépenses de santé. Puis, les créances des différentes CPAM sont centralisées, avant d’être transmises à la CNAS. Sur cette base, l’institution algérienne procède, chaque semestre, au remboursement intégral des frais.
Pour s’assurer du bien-fondé des demandes de visas pour soins médicaux, les postes diplomatiques et consulaires exigent qu’un certain nombre de justificatifs leur soient fournis. Pour l’instruction de toute demande de visa de court séjour, le demandeur est tenu de fournir des documents relatifs à ses ressources, à ses conditions d’hébergement et à son assurance médicale de voyage. Outre ces justificatifs, dans le cadre de séjours pour soins médicaux, des documents supplémentaires sont requis. D’abord, un accord écrit de l’établissement hospitalier pour l’admission du malade précisant la date et la durée de l’hospitalisation prévue. Ensuite, un certificat médical qui émane d’un médecin homologué en Algérie, décrivant la nature des soins en France et indiquant l’impossibilité d’une prise en charge médicale dans le pays (au vu de l’offre de soins et des caractéristiques du système de santé). Mais aussi une attestation sur l’honneur du demandeur de visa où il s’engage à payer les frais médicaux supplémentaires imprévus, et, s’agissant des ressortissants algériens spécifiquement, l’attestation de droit aux soins programmés remise par la CNAS.
A lire aussi
Le ministère de l’Intérieur souligne que «les postes consulaires sont invités à faire preuve de prudence au sujet de ces demandes de visas», et que, «pour prévenir ces détournements potentiels de l’objet du visa, les postes consultent leur médecin-conseil afin de connaître l’urgence du soin et ont la possibilité, en cas de doute, de vérifier les justificatifs joints au dossier».
Leave a Comment