Océans : des ONG saisissent le Conseil d’Etat pour mieux encadrer la pêche dans les aires marines françaises

Océans : des ONG saisissent le Conseil d’Etat pour mieux encadrer la pêche dans les aires marines françaises

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A quelques mois de la troisième conférence des Nations unies pour l’océan (Unoc) organisée à Nice, en juin, l’épineuse question de la gestion des aires marines protégées (AMP) continue de faire débat en France. Si des méthodes de pêche destructrices pour la faune et la flore y ont toujours cours, ces sanctuaires n’auraient-ils de protégés que le nom ? Pour les ONG, la réponse est évidente. Deux d’entre elles, Environmental Justice Foundation (EJF) et Défense des milieux aquatiques (DMA), engagent une action en justice contre l’Etat afin d’interdire le chalutage de fond dans les AMP «à la française». Cette pratique, particulièrement menaçante pour la biodiversité, consiste à traîner de lourds filets lestés sur le fond marin. En plus de détruire les écosystèmes, elle libère le carbone piégé dans les sols et prélève d’importantes quantités de poissons de manière non sélective.

Ce mardi 11 février, EJF et DMA saisissent donc la plus haute juridiction du pays, le Conseil d’Etat, au sujet de la gestion de l’AMP de Chausey, et le tribunal administratif de Rouen pour l’AMP des Bancs des Flandres. «C’est un recours pour excès de pouvoir, expose Marie Colombier, chargée de campagne Océan chez EJF. On a choisi ces deux endroits car ce sont de bons exemples des défaillances de l’Etat en matière de gestion des risques de pêche dans les zones Natura 2 000.» Les sites dits Natura 2 000 appartiennent à un réseau d’aires protégées européennes créées en 1992 par la directive Habitats-Faune-Flore et recouvrent 35 % du territoire maritime français. Or, d’après des données récoltées par EJF, les chaluts de fond opèrent dans 77 % de ces sanctuaires. Dans le détail, environ 200 000 heures de chalutage par an ont été enregistrées par l’ONG dans les AMP tricolores au cours des cinq dernières années.

«La France se targue d’avoir désigné plus de 30 % de son territoire maritime en aire marine protégée. Nous sommes perplexes car 90 % des espèces et habitats marins sont en état de conservation défavorable d’après le dernier rapport de la France auprès de la Commission européenne», continue la porte-parole de l’ONG. Le constat est partagé par de nombreux scientifiques. Comme l’expliquait récemment à Libération l’écologue marin Joachim Claudet, directeur de recherche au CNRS, «seules 1,6 % de nos aires marines sont vraiment protégées». «Et encore, précise le spécialiste, elles sont surtout situées en outre-mer car les pressions humaines sont moins fortes. En Méditerranée, c’est 0,1 %, et 0,01 % pour l’Atlantique, la Manche, la mer du Nord…»

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Si l’action lancée ce mardi ne concerne que deux sites, le but est d’obtenir un «effet boule de neige» sur les autres zones protégées au niveau français et européen, détaille l’avocate Raphaëlle Jeannel, du cabinet Huglo Lepage Avocats, en charge du dossier. «Aujourd’hui, nous savons – les chercheurs l’ont écrit noir sur blanc –, que le chalutage de fond détériore certains habitats des zones Natura 2000, notamment aux Bancs des Flandres et à Chausey, ajoute-t-elle. La France est en infraction vis-à-vis de la réglementation européenne dans la mesure où les autorités laissent libre cours à ces activités. La loi impose des obligations à l’Etat en matière de préservation du milieu marin et l’Etat doit veiller à les respecter.»

Cette procédure s’inscrit dans le cadre d’une campagne plus large de protection de l’océan lancée par plusieurs ONG au niveau européen le 4 février. Dans une lettre ouverte destinée au président Emmanuel Macron et au commissaire européen chargé de la Pêche et des Océans, Costas Kadis, ces dernières demandent une «protection stricte» dans «au moins 10 % des eaux françaises» et l’interdiction du chalutage de fond dans les aires protégées. «De telles mesures sont essentielles si la France veut maintenir une flotte de pêche durable, saine et florissante qui crée des emplois et soutient les communautés locales, qui contribuent à la lutte contre le changement climatique et favorise la consommation locale et la sécurité alimentaire», écrivent ces associations de défense de l’environnement, dont Bloom, Oceana, Seas at Risk ou la Fondation Tara Océan.

Malgré un plan d’action de Bruxelles qui a enjoint les Etats membres à élaborer des feuilles de route d’ici courant 2024 pour éliminer progressivement le chalutage de fond dans les AMP d’ici 2030, «la France n’a pas réalisé de progrès significatifs», tancent les ONG. En 2023, l’exécutif français, par la voix de celui qui était alors secrétaire d’Etat chargé de la Mer, Hervé Berville, s’était dit «totalement, clairement et fermement opposé à la mise en œuvre de l’interdiction des engins de fonds dans les aires marines protégées». Pour Philippe Garcia, président de Défense des milieux aquatiques, la France et les autres Etats membres disposent déjà du cadre juridique nécessaire à la protection de leurs écosystèmes marins. «Ce qui manque, ce sont des mesures adéquates pour l’appliquer en pratique. Les politiques actuelles privilégient le profit à court terme et la surexploitation, laissant les écosystèmes se dégrader et les pêcheurs sans perspectives claires pour l’avenir, fustige-t-il. La durabilité des pêcheries dépend de la santé des écosystèmes marins et, sans action efficace, c’est l’avenir de toute la filière qui est compromis.»

Charge désormais à l’exécutif français de combler le «fossé entre la rhétorique et l’action», estiment les ONG. Aux avant-postes des négociations sur la protection de l’océan, avec en ligne de mire l’Unoc à Nice, la France a en effet milité durant de longs mois en faveur d’un traité ambitieux pour la protection de la haute mer et de la biodiversité marine dans les eaux internationales, appelé «BBNJ». Le 5 février, le pays a officiellement déposé aux Nations unies sa ratification du texte, devenant le deuxième état de l’UE à le faire après l’Espagne.

L’initiative a été saluée par les militants de l’environnement. «La France, qui coorganise et accueille la prochaine Conférence des Nations unies sur les océans à Nice en juin, se devait d’être exemplaire en ratifiant le plus vite possible le Traité sur la haute mer. C’est désormais chose faite. Elle démontre ainsi sa prise de conscience des enjeux liés à la préservation des océans et de la haute mer, notamment en soutenant le moratoire sur l’exploitation minière des grands fonds», réagit François Chartier, responsable de la campagne Océans de Greenpeace France. «Toutefois, nuance-t-il, pour être pleinement cohérente, elle doit aussi agir avec urgence pour renforcer les aires marines protégées sur son propre territoire, sans quoi la France ne serait pas crédible au sommet de Nice.»

Libération

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