«Sitabaomba, chez les zébus francophones», et au milieu coule une rizière

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Documentaire

Critique radicale des puissants, le beau et rare docu de Lova Nantenaina suit pendant des années les combats perdus d’avance d’un village malgache.

Sitabaomba, chez les zébus francophones tient du documentaire radieux autant que du conte cruel, dont la surprise renouvelée émane de la lutte d’une poignée de paysans malgaches arborant un calme et un sourire constant qui semblent défier l’ennemi : vous obtiendrez peut-être votre route, vos complexes de béton, la disparition de nos terres et des rizières, mais vous n’aurez pas notre lumière. Le sourire de Ly, protagoniste de ce rare et beau film malgache, comme les danses qui ouvrent (une naissance) et referment (un deuil) le bal, est le signe endurant de la résistance paysanne à l’exploitation capitaliste.

«Les caïmans remplacent les crocodiles»

Puisque sous ses dehors souriants et avenants, ses jeux, ses palabres à la fois idéalistes et fatalistes, ses fables de marionnettes confectionnées par les enfants, bref sa sorte de légèreté triste, Sitabaomba est une critique radicale des puissants déguisés en progressistes, colons (les Chinois succédant aux Français) et potentats locaux. Critique que le cinéaste, Lova Nantenaina, porte en ayant filmé la communauté sur des années – les premières images du village sur les flancs d’Antananarivo sont de 2007, les dernières de 2023. Entre-temps les villageois auront mené le combat sisyphéen contre la route frayée hors de toute légalité par les militaires, détruisant au passage cultures, rizières, orangeraies, au nom du rayonnement prochain du Sommet de la francophonie (2016). En 2018 auront par la suite lieu les élections où, comme dit la narratrice, «les caïmans remplacent les crocodiles».

Nantenaina revendiquant de «s’arracher du regard occidental» nous pardonnera, son beau film révolté ironique nous évoque la rencontre entre le cinéma direct d’un Jean Rouch et les fables animées d’un Michel Ocelot, documentaire mixé au conte cinématographique de griots. Parmi les belles idées de mise en scène, il y a cette séquence de marionnettes figurant édiles et ambassadrice de Chine qui spéculent, au nom de «l’aménagement du territoire», autour d’un centre-ville édifié sur les terres spoliées des paysans. Les figurines animées sont disposées de part et d’autre d’un plan rappelant un jeu de Monopoly. On enchaîne sur une vue aérienne des cahutes et champs actuels, parcelles très réelles en opposition au «plan» des corrompus. Film ludique et minutieux doué d’une élégance particulière : Sitabaomba ou l’art de pleurer des rizières avec un sourire féroce.

Sitabaomba, chez les zébus francophones de Lova Nantenaina. 1h32.

Libération

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