Dans ses "Carnets d'Ukraine", Michel Hazanavicius signe une ode à la résistance

Dans ses “Carnets d’Ukraine”, Michel Hazanavicius signe une ode à la résistance

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Il est parti sur le front ukrainien, des carnets Moleskine dans les poches, pour “voir la guerre de près”. Aller à la rencontre des soldats, les faire témoigner sur cette folie meurtrière qui, depuis trois ans, prive un peuple d’avenir. De ce voyage dans le Donbass, Michel Hazanavicius a rapporté un récit brut, intense, émaillé de portraits graves, parfois cabossés, mais dont l’esprit combatif, toujours intact, force l’admiration. Carnets d’Ukraine, sorti en librairie ce 20 février, est une ode à la résistance.

Ce n’était pas la première fois que le réalisateur, actuellement à l’affiche avec le film d’animation, La Plus Précieuse des Marchandises, se rendait dans ce pays martyr. “Après le 24 février 2022, j’avais organisé une vente aux enchères à Paris dans le milieu du cinéma. Nous avions récolté 250 000 euros, qui ont été versés à United24 [NDLR : la plate-forme ukrainienne officielle de collecte de fonds qui œuvre à la défense et la reconstruction de l’Ukraine]. Après cela, elle m’a nommé ambassadeur, ce qui m’a conduit à y retourner souvent. Un jour, mon ami Kolya, chanteur célèbre engagé dans l’armée, m’a proposé de l’accompagner dans l’est du pays pour voir ‘ceux qui se battent’. En novembre 2023, nous sommes partis à Kramatorsk.”

Le livre, dont les bénéfices seront versés à United24, raconte cette plongée dans ce qu’il appelle “le monde parallèle. “C’est terrible à dire, mais le front est un endroit fascinant. Il y a quelque chose de primal dans cet endroit. Tout à coup, on se retrouve face à sa propre mort. Les couches de comportement sociaux disparaissent, il ne reste que la vérité. Happés par la violence, les soldats n’ont plus le temps de penser à leur vie d’avant. Ils sont à la guerre et ne peuvent réfléchir qu’avec les règles de la guerre. Sinon, ils ne survivent pas.”

Niechnyi, “l’homme qui ne dort pas la nuit”

Difficile, dans cet environnement hostile, d’avoir la bonne distance. “Je ne suis pas reporter de guerre, dit-il. J’ai eu du mal à trouver ma place dans ce récit. Heureusement, j’ai déjà mené des projets de ce type : un film sur le Rwanda, il y a vingt ans, un autre sur la Tchétchénie, The Search, en 2014. En réalité, j’ai toujours eu un œil sur la politique impérialiste de Vladimir Poutine et sur sa volonté systématique de détruire tout ce qui ressemble à une démocratie. Tant que cet empire n’aura pas éclaté, nous en serons les proies.”

De Lviv à Kiev, des checkpoints militaires aux bars de Kramatorsk, Michel Hazanavicius arpente le pays. Les soldats lui confient leur quotidien, leurs failles et leurs souffrances face à un ennemi plus nombreux et mieux armé, mais aussi leur détermination à mettre fin à cette guerre existentielle pour eux.

Roman et Bogdan- Carnets d'Ukraine © Michel Hazanavicius / Allary éditions
Roman et Bogdan- Carnets d’Ukraine © Michel Hazanavicius / Allary éditions

Tel Niechnyi, “celui qui ne dort pas la nuit”, un officier qui regarde les documentaires russes pour s’imprégner de la culture militaire de ses ennemis. Avant de partir en mission, il décortique les opérations conduites par le commandant de brigade qui lui fait face pour “entrer dans sa tête” et anticiper ses décisions. Ou Hhohhol, “cosaque revisité par Mad Max“, barbu et massif, un débrouillard de 38 ans qui a inventé un redoutable “drone dépose mines”. Citons aussi Tolya, avocat fortuné parti au Monténégro installer sa famille avant de rentrer en Ukraine et, sans en avertir sa femme, s’engager dans l’armée. Aujourd’hui encore, il n’a pas totalement réglé son dilemme : risquer sa vie pour ses valeurs et son pays ou se sauver pour protéger sa femme et ses enfants. “En l’écoutant, je pensais à cette phrase de Romain Gary à propos des Français qui avaient refusé de suivre de Gaulle en 1940 parce qu’ils étaient trop ‘installés dans leurs meubles’. Tolya, lui, a balancé les siens sans trembler – et apparemment ils étaient confortables”, raconte le réalisateur, dont le grand-père, juif émigré de Lituanie, s’était engagé “au premier jour des combats”, en 1939 dans l’armée française.

Valerii et ses marionnettes

Le réalisateur de The Artist a l’art de camper des personnages qui prennent la lumière. Valerii, marionnettiste, vient de Kharkiv et improvise des spectacles devant des soldats. Avant la guerre, il était psychologue dans une maison de correction pour enfants. “Ses marionnettes sont le catalyseur, le réceptacle de ce trop-plein de violences et de détresse”, décrypte Michel Hazanavicius, très marqué par cette rencontre. “Valerii aide les soldats à ressentir leurs peines. Certains pleurent, ça les aide à guérir. Il y a clairement quelque chose de mystique chez ce garçon, comme s’il évoluait 20 centimètres au-dessus de nous. Il se sent investi d’une mission. Il y a chez lui, comme chez d’autres que j’ai rencontrés, quelque chose d’incongru, mais en même temps d’évident, quasi philosophique, dans le rôle qu’il joue, dans la place qu’il occupe dans le dispositif.”

Et puis, il y a Olga, la guerrière. Voilà comment la décrit notre narrateur : “Olga est un phénomène. Un vrai. Le genre de personne qu’on ne ren­contre pas dans la vie, mais encore moins dans la fiction. Elle n’y serait pas crédible. Elle a peut-être 24 ans – c’est elle qui précise peut-être –, elle est championne de karaté […] Elle est aussi violoniste de haut niveau et étudie pour devenir chef d’orchestre. Elle a les cheveux très noirs coupés ras, a été blessée plusieurs fois – elle a perdu un œil – et son corps est un muscle. Elle semble animée par une énergie hors norme, comme une cheminée dans laquelle on aurait mis trop de bois.” Quand la guerre finira, elle aura le choix, ajoute Michel Hazanavicius, elle a déjà eu tellement de vies : l’armée, la musique… Elle ne sera pas perdue comme beaucoup d’autres…

Tous n’ont pas ce lustre. D’autres soldats, moins flamboyants, nous touchent surtout par leur… banalité. Du moins en apparence. “J’ai une copine, une moto, je suis un gars normal. La seule chose qui me distingue de vous, c’est que je sais tuer”, lui confie un jeune soldat engoncé et timide, croisé durant une permission, à Kiev. “Jamais ce gamin n’aurait imaginé que sa vie bascule d’un jour à l’autre et qu’il doive se préparer à tout sacrifier, commente Michel Hazanavicius. Et c’est bien ce que nous avons du mal à comprendre, nous, Français. Ces Ukrainiens ont beau être très proches de nous, nous n’arrivons pas à nous projeter dans ce qu’ils vivent, car nous sommes incapables de ‘penser la guerre’. Nous l’avons rangée dans une boîte, elle appartient au passé. Du moins jusqu’à l’invasion russe…”

“La guerre, c’est pizdietz”

Cette guerre, l’auteur tente au fil des pages de la cerner, d’en donner une définition. Pour Niechnyi, le noctambule, c’est “pizdietz”, que l’on pourrait traduire par “la pire des merdes”. “C’est quand tu rentres chez toi et que ton fils te reconnaît à peine”, précise l’officier. Pour le cinéaste, elle peut prendre des apparences baroques, à l’image de cet immeuble dont, écrit-il, “les canalisations d’eau ont explosé. Avec le froid, l’eau s’est solidifiée tout le long des parois, créant une immense sculpture de glace étonnamment belle, comme la cire fondue d’une bougie. Le contraste entre la beauté plastique de cette œuvre géante et l’histoire qu’elle raconte est ahurissant. L’horreur, le beau, le hasard, le froid, l’immensité d’un immeuble et la fragilité d’une bougie, c’est une image absurde que seule la guerre peut créer.”

Parfois, elle prête même au rire : “Des soldats ukrainiens avaient trouvé une vieille chèvre malade, pleine de tiques. Ils lui ont mis un treillis et l’ont laissée partir vers les lignes russes, puis ils ont tiré en l’air pour faire croire à un assaut. Les Russes y ont cru, ils ont fait feu pendant des heures. Ils se sont battus contre une chèvre […] Plus tard, la chèvre est revenue.”

Pilonnés, écrasés sous les bombes, harcelés par les drones, les soldats ukrainiens perdent du terrain, mais ils ont une chose pour eux : ils sont du bon côté de l’Histoire. Et c’est bien le problème d’Artem, russe repenti, devenu un fervent patriote ukrainien. Né à Moscou, kiévain depuis 2006, il a pratiqué tous les métiers : dentiste, journaliste, musicien… “De tous les combattants que j’ai pu rencontrer, écrit Michel Hazanavicius, il est le plus vindicatif contre les Russes. Il les déteste d’autant plus qu’étant russe lui-même, sa rancœur est plus personnelle, comme s’il luttait contre une partie de son identité. Comme si leurs actions le définissaient lui aussi. Alors il lutte. Contre le Russe en lui, contre tous les Russes et contre l’idée même de russité.” Car, ajoute-t-il, il ne faut jamais faire confiance aux Russes. “Leurs promesses ne valent pas plus que la feuille sur laquelle elles sont écrites. Et la seule chose dont tu peux être sûr, c’est que si tu signes avec eux, c’est juste du papier que tu auras gâché.”

Une phrase qui claque comme un avertissement, alors que Donald Trump a engagé les négociations avec Vladimir Poutine pour mettre fin à la guerre en Ukraine. A Kiev, à Lviv ou encore à Kramatorsk, Hhohhol, Olga et les marionnettes de Valerii retiennent leur souffle. Et prient pour que leur destin ne soit pas scellé en quelques jours par deux mâles alpha septuagénaires, sans qu’ils aient même leur mot à dire.

L’Express

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