«Ils ont exécuté les civils et brûlé leurs magasins» : en Syrie, des massacres d’Alaouites plongent le pays dans l’incertitude

«Ils ont exécuté les civils et brûlé leurs magasins» : en Syrie, des massacres d’Alaouites plongent le pays dans l’incertitude

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Fouad (1) n’est pas sorti de chez lui depuis quatre jours. Dans la région de Tartous où il habite, il n’y a presque pas de réseau, l’électricité est coupée, comme les principaux axes routiers de la région. «Si je sors, j’ai peur d’être tué, confie le jeune homme par téléphone. Près de ma maison, il y a une famille entière qui s’est fait exécuter sur le pas de leur porte. Je n’ai plus contact avec le reste de mes proches car ils ne sont plus en mesure de recharger la batterie de leur téléphone portable. Des cadavres sont encore dans les rues.» Depuis le jeudi 6 mars, la Syrie connaît une vague de violence, la plus sanglante depuis la chute de Bachar al-Assad.

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Tout a commencé par des attaques d’anciens partisans du dictateur. Des hommes armés, reliquats de l’ancien régime réunis sous la bannière du groupuscule «Bouclier de la côte», organisent des embuscades contre des membres des nouvelles autorités syriennes. «Ils ont tué plusieurs civils, raconte, depuis l’hôpital de Banias, dans l’ouest du pays, le Dr Al Mahamid. J’ai dû mener plusieurs opérations sur des blessés qui accusaient des membres de la quatrième brigade [ancienne faction armée du régime connue pour ses exactions, ndlr] Repoussés par les forces de sécurité du nouveau régime et leurs alliés, ils se retranchent dans les montagnes de la région côtière et promettent de récidiver. Quelques heures plus tard, les premières vidéos de massacres dans les zones reprises commencent à circuler. «Pendant plusieurs heures, des hommes armés se sont baladés dans les quartiers alaouites, explique, par téléphone, Hasan (1), un habitant de la région de Banias. Ils ont exécuté les civils et brûlé leurs magasins. Personne ne les a empêchés.»

Dans le chaos, le bilan est encore incertain. Certaines ONG avancent le chiffre de 200 morts civils, d’autres l’estiment à plus de 900, incluant d’anciens loyalistes exécutés sommairement et sans procès. Les vidéos diffusées sur les réseaux sociaux syriens sont elles aussi confuses ; certaines ont été exhumées de la guerre d’Irak ou des précédentes années de conflit qui ont ravagé la Syrie. Difficile également de savoir avec certitude si les massacres d’Alaouites ont été perpétrés par des jihadistes internationaux ou par des membres des nouvelles forces de sécurité rejetant les ordres de leur hiérarchie et la légitimité du nouveau pouvoir.

La ville de Banias, partagée entre Sunnites et Alaouites, porte encore les plaies des crimes de guerre passés. En mai 2013, 280 civils avaient été massacrés par des miliciens du régime pour mater la contestation populaire qui agitait la localité. Joints par Libération, deux habitants sunnites de la ville refusent de croire à la responsabilité de radicaux islamistes. «Des voisins nous ont dit que les membres du régime avaient mis des cagoules et des habits des nouvelles autorités pour semer le chaos sous faux drapeau», jure l’un d’eux. Pourtant, la participation de jihadistes à ces massacres ne fait aucun doute. C’est d’ailleurs pour faire la lumière sur leur identité que le président syrien par intérim, Ahmed al-Charaa, a annoncé la création d’un comité d’enquête indépendant. «Nous jugerons sans complaisance ceux qui ont attaqué des civils en outrepassant les prérogatives de l’Etat ou en abusant de leur pouvoir», a-t-il déclaré dimanche 9 mars dans la soirée. Le comité, composé de sept personnalités, dont cinq juges, devra rendre son rapport dans un mois. Un délai très court, à l’image de l’urgence qui guette le pays. Car les conséquences des massacres pourraient déborder bien au-delà de la côte du nord-est syrien.

Les années de sectarisme instituées par l’ancien régime ont nourri une haine communautaire désormais en résurgence. Si plusieurs rassemblements à travers le pays ont appelé au retour de la paix civile, d’autres également en soutien aux nouvelles autorités ont été parsemés de slogans communautaires. A Homs, plusieurs cortèges d’hommes ont défilé en insultant nommément la communauté alaouite dont est issu l’ancien dictateur, Bachar al-Assad.

Dans la campagne de Deraa, des quartiers entiers sont encore détruits, les habitations grignotées par les impacts de balles et les bombardements du régime. C’est ici, dans ce berceau de la révolution syrienne, que le clan Assad a commencé à plonger le pays dans l’abîme d’une répression sanglante. Ihab habite une petite maison au parpaing apparent. Ces six dernières années, il les a passées en prison, et sans doute dans l’une des plus terribles : Sednaya. Surnommée «l’abattoir humain de Bachar al-Assad», il y était interdit de parler, de seulement lever la tête. Aux tortures quotidiennes s’ajoutaient le froid, la faim, la tuberculose.

Depuis leur libération en décembre, les prisonniers comme lui échappés de l’enfer concentrationnaire d’Assad ne sont pas tous traversés par les mêmes émotions. Traumatismes irréversibles, besoin de mémoire, de pardonner parfois, de reconstruire toujours… Ihab, lui, le dit sans détour : c’est la colère qui ne le quitte plus. «Nous savons bien que les pays occidentaux n’aiment pas qu’on parle ainsi de violence, avance le trentenaire, les traits de son visage encore légèrement creusés sous sa barbe taillée. Mais vous ne savez pas ce que nous avons traversé. Vous ne ressentez pas ce que Bachar al-Assad nous a fait ressentir. Cette communauté [alaouite] a voulu nous exterminer. Peut-être qu’il y a des intellectuels parmi eux qui n’ont rien à voir avec ça. Mais ils savaient ! Ils étaient au courant et ils se taisaient. Si moi je vais sur la côte du Sahel [région alaouite, ndlr], je ne sais pas ce que je pourrais commettre. C’est pour ça que je refuse d’y aller. Ce dont je suis certain c’est que je ne ferai preuve d’aucune pitié.»

Il ne faut pas sous-estimer, en Syrie, les haines ancrées par des décennies de tyrannie, de massacre et de malheur. La nation tout entière est encore morcelée entre différents groupes armés. Certaines autres minorités (Kurdes, Druzes…) engagées pourtant dans des négociations pour construire un Etat unitaire, pourraient avoir aujourd’hui beaucoup plus de réticences après les massacres d’Alaouites. Depuis le 8 décembre, nombreux sont ceux qui craignaient, sinon s’attendaient, à des épisodes de chaos comme celui-ci dans la Syrie encore si fragile. Nul doute que les anciennes forces loyalistes récidiveront, que des islamistes radicaux refuseront le pouvoir du président par intérim et sa promesse de transition démocratique. Mais au-delà de ramener la paix civile et de garantir la stabilité de l’Etat, la mission des nouvelles autorités porte une dimension encore plus titanesque. La justice transitionnelle comme la construction d’un Etat démocratique ne pourra se faire qu’avec l’ensemble des citoyens syriens et sans le venin sectaire ravivé par les plus radicaux. Le chaos et la haine communautaire, eux, se nourriront des consentements silencieux.

(1) Le prénom a été modifié.

Libération

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