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Victoire partielle mais avancée majeure dans le dossier du chlordécone. La cour administrative d’appel de Paris a donné raison ce mardi 11 mars à onze personnes qui demandaient une indemnisation au titre du «préjudice d’anxiété» pour avoir été exposés, durant des années, au pesticide utilisé dans les bananeraies de Martinique et de Guadeloupe. D’après l’arrêt que Libération a pu consulter, elles recevront chacune entre 5 000 et 10 000 euros. «L’Etat a commis des fautes en accordant des autorisations de vente d’insecticide, […] en manquant de diligence pour évaluer la pollution liée à cet usage» et pour «y mettre fin», explique la cour dans un communiqué.
«C’est inédit de voir la justice indemniser des habitants des Antilles dans le dossier du chlordécone, réagit auprès de Libération leur avocat, Christophe Lèguevaques. L’Etat est reconnu fautif pour avoir caché durant des années la dangerosité du produit, et ça aussi, c’est une bonne nouvelle. En revanche, la cour administrative d’appel de Paris nous montre une voie très étroite pour permettre l’indemnisation. Selon elle, il faut avoir un profil précis pour être une victime de préjudices moraux et prétendre à une réparation.»
Dans ce dossier hors norme, 1 286 Guadeloupéens et Martiniquais étaient requérants et espéraient remporter la même victoire que les salariés qui ont été exposés aux fibres microscopiques d’amiante et qui peuvent désormais obtenir des dommages-intérêts en réparation de leur «sentiment d’inquiétude permanente généré par le risque de déclarer à tout moment une maladie liée à l’exposition à une telle substance».
Aux Antilles, le chlordécone appliqué sous forme de poudre blanche a été utilisé par centaines de tonnes dans les plantations de bananiers, entre 1972 et 1993, malgré des alertes sanitaires répétées sur la toxicité de ce pesticide pour les humains – l’Organisation mondiale de la santé l’avait classé comme «cancérogène probable» dès 1979.
Aujourd’hui, plus de 90 % des résidents des deux îles présentent des niveaux de chlordécone détectables dans le sang, selon Santé publique France. On trouve aussi des traces importantes de la molécule dans les sols, les champs, les rivières et même le bétail. Les travaux scientifiques estiment qu’il faudra plusieurs décennies pour tout décontaminer. «Certains de mes clients ont peur de ce qu’ils mangent, d’autres déménagent en ville pour s’éloigner des terres agricoles, nous expliquait il y a quelques jours Christophe Lèguevaques, avocat des requérants. Tous ne sont pas malades, tous ne sont pas ouvriers agricoles, mais tous savent désormais que le chlordécone est dangereux pour eux et leurs proches. Cette angoisse est légitime.»
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En première instance, le tribunal administratif de Paris avait reconnu les «négligences fautives» de l’Etat dans le dossier du chlordécone. Une grande première judiciaire. Les magistrats avaient notamment pointé le fait que les autorités avaient attendu trois ans de plus qu’en France métropolitaine pour interdire l’utilisation du produit aux Antilles. Mais les demandes d’indemnisation pour préjudice d’anxiété avaient, elles, été rejetées par les juges.
En appel, la cour a donc jugé que l’Etat devait indemniser onze personnes qui, dans cette procédure, ont présenté suffisamment d’éléments «tels que des dosages sanguins, le cas échéant corroborés par des analyses de sols, pour établir une exposition effective […] et le caractère élevé des risques en découlant». Il s’agit de quatre hommes ayant été atteints d’un cancer de la prostate et présentant «un risque élevé de connaître une récidive» – le taux d’incidence de ce type de cancer est parmi les plus élevés au monde aux Antilles et l’Inserm a établi en 2021 qu’il y avait une «présomption forte» du lien entre l’exposition au chlordécone et le risque de survenue de cette maladie. Vont également être indemnisés cinq requérants qui présentent «un risque de développer un cancer de la prostate» et deux femmes qui ont eu des graves problèmes lors de leurs grossesses (fausses couches ou mort in utero de fœtus).
Pour Christophe Lèguevaques, si la décision de ce mardi est une avancée, elle n’est pas suffisante. Les 1 286 requérants auraient dû, selon lui, obtenir réparation : «Nous ne sommes pas ici sur un préjudice corporel, où nous aurions dû rapporter, pour chacun des dossiers, la preuve irréfutable du lien entre le produit et l’état de santé. Ici, les 1 286 demandeurs ont des traces de pesticide dans le sang et s’en inquiètent. Qui n’en serait pas tourmentés ?» L’avocat a déjà annoncé son intention de porter le dossier devant le Conseil d’Etat.
Mis à jour à 17 h 30 avec l’ajout du nombre précis de personnes indemnisées.
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