L’art du graf : pratiques plurielles, impressions universelles

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Savoir qui nous sommes, savoir ce à quoi nous tenons, penser les lieux et les échelles de ce qui nous rassemble… Le Campus Condorcet organise, le 20, 21 et 22 mars 2025, trois jours de débats et de rencontres sur le thème «Universel(s) ?». Un événement dont Libération est partenaire.

1984. Henry Chalfant et Martha Cooper présentent Subway Art, qui retrace, photos à l’appui, la naissance du graffiti dans le métro new-yorkais. Le livre, qui comptabilisait vingt-cinq ans plus tard pas moins de 500 000 exemplaires vendus, participe de la diffusion mondiale d’une culture jusqu’alors «underground». Aujourd’hui, les graffeurs sont partout : à Kyiv, Berlin, Tokyo, São Paulo, «et jusqu’en Sibérie !», pointe Jean Faucheur, artiste peintre, président de la fédération de l’art urbain et cofondateur de l’association M.U.R (pour «Modulable, Urbain, Réactif»), qui propose à des artistes des lieux d’expression urbaine. Si le graf a su traverser les frontières, ses formes et ses langages sont-ils universels ?

L’histoire de cette pratique est indissociable de la rage et de la colère, sentiments mondialement partagés. «Le graffiti naît dans les années 1970 à New York, d’adolescents portoricains ou afro-américains invisibilisés et méprisés», retrace Hugo Vitrani, commissaire d’exposition au Palais de Tokyo à Paris, qui présente jusqu’au 11 mai une rétrospective de l’artiste protéiforme Rammellzee, pionnier du rap et du graffiti. «Ce contre-langage poétique et plastique leur permet d’affirmer des solidarités politiques et de traduire artistiquement des identités malmenées». D’abord circonscrites au métro new-yorkais, ces formes directes qui surgissent au contact des populations se propagent dans l’espace public.

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En France, s’il y avait bien dans les années 1960 quelques épiphénomènes faisant figure d’ovnis (comme Gérard Zlotykamien, «l’un des premiers à utiliser la bombe aérosol dans la rue», précise Jean Faucheur), ce n’est qu’à la fin des années 1980 que cet art de la lettre envahit Paris. «La sociologie est alors assez différente des populations défavorisées du bas de Manhattan, analyse l’historien de l’art Cyrille Gouyette. Les premiers graffeurs sont plutôt des fils de bonne famille qui importent ce qu’ils ont vu aux Etats-Unis.» Rapidement, des adolescents désœuvrés issus de milieux plus populaires rejoignent ces terrains d’expérimentation que sont devenus les quais de Seine, Stalingrad ou les chantiers de Beaubourg et du Louvre. «Le graffiti fait partie des rares mouvements artistiques où le clivage social n’a pas été un frein, et où différents milieux ont pu faire communauté», rappelle Hugo Vitrani. Anonymes, les graffeurs opèrent sous pseudos, ces «blazes» qui inondent les murs. Débrouille et inventivité caractérisent la pratique : «Quand un graffiti est effacé, il réapparaît ailleurs, illustre Jean Faucheur. La ville de Paris fait nettoyer les murs ? Qu’à cela ne tienne, les graffeurs peindront au-dessus, encordés depuis le toit !»

Plus figuratif, le «street art», qui émerge en France après mai 1968 et se pratique à l’aide de brosses, rouleaux, pochoirs ou bombes aérosols empruntées au graf, propose une autre appropriation de l’espace public, qui s’éloigne du lettrisme. Au moment des printemps arabes, en Egypte par exemple, le pochoir est un outil privilégié d’expression des revendications. «Qu’il s’agisse d’une forme ou d’un message, le principe reste le même : recouvrir l’existant et dupliquer l’image très rapidement, résume Cyrille Gouyette. Ce qui n’empêche pas de nombreux adeptes du street art de se tenir loin de toute velléité revendicative en prônant une volonté d’embellissement de la ville.»

Dans les années 2000, le graf commence à investir l’espace de la galerie : c’est le «post-graffiti», l’une de ses évolutions les plus marquantes. «Les résistances des institutions culturelles envers ces outils et supports commencent alors à diminuer, précise Hugo Vitrani. Alors que jusqu’à présent, le public comprenait mieux ce milieu que le monde de l’art lui-même !» Institutionnaliser son travail ne va pas de soi pour un art dont l’identité repose sur ce caractère transgressif. Mais si beaucoup de graffeurs continuent de refuser le dévoiement que le statut d’artiste représente à leurs yeux, d’autres estiment que l’atelier présente l’occasion de promouvoir d’autres formes et langages… Et d’être enfin rémunérés. «Tout un tas de raisons président à ces choix, qui diffèrent selon chaque artiste, précise le spécialiste, qui met en garde contre une définition unique et réductrice du graffiti. Si la pratique a investi massivement la culture populaire, elle continue de recouvrir une grande diversité de formes, de pratiques et de réalités.» Et voit coexister différentes générations, qui n’ont ni la même histoire ni les mêmes objectifs.

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