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La Piazza del Popolo couverte de drapeaux européens. C’est l’espoir des organisateurs de la grande manifestation qui doit se dérouler samedi 15 mars à Rome sous le slogan «Soit on construit ici l’Europe, soit on meurt», un décalque de la maxime de Garibaldi datant de 1860 lors d’une bataille pour l’unification de l’Italie. Des dizaines de milliers de personnes sont annoncées dans le cœur de la capitale italienne à l’appel, initialement, du grand quotidien progressiste La Repubblica, pour défendre le projet européen face aux menaces des autocraties et à l’agressivité de la nouvelle administration américaine de Donald Trump.
La mobilisation a démarré le 27 février à la suite d’un article de l’écrivain et journaliste Michele Serra, qui se faisait l’écho du désarroi des citoyens «face au changement du monde à une vitesse imprévisible», de leur «désorientation», de leurs «peurs» aussi. «Je me suis demandé pourquoi ne pas organiser une grande manifestation de citoyens pour l’Europe, son unité et sa liberté. Sans aucun drapeaux de partis, uniquement des drapeaux européens», concluait-il. Les jours suivants, des milliers d’Italiens ont répondu présents mais aussi, dès le lendemain, la secrétaire du Parti démocrate (PD), Elly Schlein, et dans la foulée, plusieurs formations politiques, syndicats, maires, intellectuels, associations ou artistes – comme l’architecte Renzo Piano ou le chanteur Jovanotti. L’écrivain Paolo Rumiz a signé de son côté un texte intitulé «Merci Donald de nous avoir rendu l’idée d’Europe».
De nombreuses organisations du monde catholique et quelques personnalités de centre-droit ayant annoncé leur participation, la manifestation devrait rassembler au-delà du bassin traditionnel de la gauche. Mais pas au point de réunir toutes les sensibilités pro-européennes. La ligne éditoriale de La Repubblica a en effet découragé certains. Le parti libéral et conservateur Forza Italia, membre du Parti populaire européen et présent au gouvernement de Giorgia Meloni, a préféré organiser sa propre et modeste mobilisation le samedi 8 mars à Ancône (est de l’Italie), en présence toutefois de la présidente du Parlement européen Roberta Metsola.
Dans la ville qui a vu naître l’aventure européenne avec la signature du traité de Rome en 1957, la mobilisation de samedi pourrait, selon ses promoteurs, permettre d’envoyer un message contre les nationalismes, mais aussi de demander une plus grande intégration européenne. «Le moment est venu d’avoir un seul Etat et une seule Constitution», a ainsi plaidé l’écrivain Claudio Magris. Mais au fil des jours, ce projet de «piazza per l’Europa» (place pour l’Europe) a commencé à mettre en lumière les divisions de la gauche. Si Giorgia Meloni peine à trouver un équilibre entre un positionnement pro-européen et une relation idéologique privilégiée avec Donald Trump, l’opposition apparaît tout autant fracturée sur le soutien militaire à l’Ukraine et le réarmement européen amorcé, avec les annonces d’un plan de 800 milliards d’euros par Ursula von der Leyen.
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En annonçant son soutien et sa venue, le leader de la Confédération générale italienne du travail (CGIL), Maurizio Landini, a tenu à préciser que ces milliards d’euros étaient «des ressources qui seront soustraites à l’Etat-providence et à la création de postes de travail». «Nous devons choisir entre une Europe qui conserve ses valeurs fondatrices et une autre, qui à travers la guerre, les oublie», a prévenu le leader du syndicat compte 5 millions de membres, avant d’annoncer que lui et ses troupes viendraient samedi avec le drapeau arc-en-ciel, symbole de la paix. Une position partagée par une grande partie des Démocrates. Mercredi dernier, contrairement aux socialistes et démocrates européens, le groupe PD au Parlement de européen s’est majoritairement abstenu sur le plan «Rearm Europe» de la Commission européenne.
La patronne du parti, Elly Schlein, a justifié ce choix en affirmant qu’elle était favorable à une défense commune européenne mais opposée à un réarmement au niveau des nations. Pour la minorité du parti, cela équivaut à un alignement progressif du PD sur les positions «pacifistes» du Mouvement 5 étoiles. Le président du mouvement populiste, Giuseppe Conte, qui réclame une «solution diplomatique et non militaire» pour l’Ukraine depuis toujours, a d’ailleurs annoncé qu’il ne défilera pas sur la Piazza del Popolo samedi. «Je ne veux pas soutenir une Europe du réarmement», a-t-il tranché.
Face à la perspective d’une place finalement divisée entre drapeaux européens et arc-en-ciel, certains ont jeté l’éponge, comme le petit parti Libéraux-démocrates. D’autres, comme le philosophe Paolo Flores d’Arcais, ont annoncé leur venue mais munis du drapeau bleu et jaune de l’Ukraine, «parce qu’aujourd’hui le cœur de l’Europe est à Kyiv et que le futur de l’Europe se joue le long de cette frontière». Au bout du compte, Michele Serra, qui au départ souhaitait une démonstration de force européenne, a capitulé : «Je ne suis pas autorisé à dicter le dress code d’une manifestation politique.»
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