Les diamants sont-ils toujours éternels ? Comment la filière en difficulté tente de se réinventer

Les diamants sont-ils toujours éternels ? Comment la filière en difficulté tente de se réinventer

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Chanté par Marilyn Monroe comme par Rihanna, convoité par Audrey Hepburn dans le film Breakfast at Tiffany’s, brillant dans les vitrines de la place Vendôme, le diamant s’est érigé en symbole intemporel de beauté et de rareté. Pourtant la filière traverse aujourd’hui une passe difficile. Dernier exemple en date, les difficultés du numéro un mondial De Beers, au point que son principal actionnaire, le producteur minier Anglo American, envisage de s’en séparer. Avec une production de diamants bruts en chute de 22 % en 2024, les jours fastes de cette entreprise fondée en 1888 semblent désormais lointains.

L’ensemble de la chaine de valeur est bousculé : le Botswana a vu ses exportations de diamants bruts, dont son économie est très dépendante, baisser de 46 % entre 2022 et 2024, d’après Rapaport, une société d’analyse spécialisée. En Inde, des usines de la ville de Surat – plaque tournante pour la transformation de la pierre précieuse – ont dû fermer, faute de demande. Au total, l’an dernier, le pays a exporté moitié moins de diamants polis qu’en 2022.

Demande en perte de vitesse

Les causes de cette dégradation sont multiples. Après un rebond transitoire, le ralentissement économique de la Chine, marché traditionnellement porteur, a contribué à l’effondrement des prix depuis la fin de la crise sanitaire – le phénomène touche d’ailleurs l’ensemble du secteur du luxe. Une perte d’attrait qui a bénéficié à l’or. “La baisse des prix a ébranlé la confiance des consommateurs dans le diamant en tant qu’investissement. Cela a fortement réduit la demande de diamants naturels et poussé les Chinois vers le métal précieux, qu’ils considèrent comme un placement plus solide”, observe Joshua Freedman, analyste senior à Rapaport.

L’offre, quant à elle, est restée abondante. Pour éviter que les prix ne s’effondrent davantage, De Beers a fait des stocks, qui ont atteint leur plus haut niveau depuis 2008, d’après le Financial Times.

Dans l’imaginaire du grand public, la pierre précieuse perd aussi de son éclat. Les diamants ne sont plus les “meilleurs amis des filles”… “Il y a eu un changement dans la sociologie de la demande : ils font beaucoup moins rêver les femmes, surtout les jeunes, qu’auparavant”, observe Alessandro Giraudo, professeur de géopolitique des matières premières à l’Inseec. Aux Etats-Unis, son premier marché, l’industrie du diamant doit composer avec de nouvelles pratiques chez les consommateurs âgés de 25 à 35 ans. “Les bagues de fiançailles, principal segment du marché, sont de plus en plus souvent achetées par les couples, au lieu d’être choisies par le futur époux avant la demande en mariage, explique Edahn Golan, analyste indépendant de l’industrie du diamant et directeur à Tenoris, une société d’analyse en joaillerie. Cela réduit la pression à dépenser plus, d’autant que cette clientèle tend à préférer les diamants de synthèse”.

85 % moins cher

Produits en laboratoire, alors que leur équivalent naturel se forme durant des milliers d’années dans les sous-sols, ces substituts sont un véritable caillou dans la chaussure des industriels du diamant naturel. Ils séduisent d’abord par leur prix de vente attractif, environ 85 % moins cher que le diamant extrait des mines, d’après Edahn Golan. A tel point que les diamants synthétiques sertissent près de la moitié des bagues de fiançailles vendues aux Etats-Unis. A l’échelle mondiale, leur part de marché frôlait les 20% en 2024, selon le cabinet McKinsey. Les acteurs traditionnels ne sont pas près de regagner ce terrain perdu, juge Yoram Finkelstein, à la tête de GemConcepts, une entreprise de taille de diamants basée en Israël. “Les industriels du diamant naturel n’ont pas compris que les réalités du marché avaient changé. Au lieu de se livrer à une guerre contre les diamants de laboratoire, ils feraient mieux de miser dessus”, recommande-t-il.

Avec une esthétique et des propriétés physiques identiques, le diamant de synthèse n’a en principe rien à envier à son homologue des profondeurs terrestres. Mais au Natural Diamond Council (NDC), on refuse de les mettre sur un pied d’égalité. “Il est impossible de comparer une pierre précieuse naturelle produite par la Terre mère il y a 1 à 3,5 milliards d’années et un produit industriel de masse, provenant principalement de Chine et d’Inde”, s’offusque Mina El Hadraoui, directrice France du NDC.

Et pourtant, parmi les joailliers, les adeptes sont de plus en plus nombreux. Pour cause, la marge brute est de l’ordre de 70 % pour les produits de laboratoire, deux fois plus que pour les diamants issus de mine, calcule Edahn Golan. Le géant danois Pandora a commencé à recourir aux premiers en 2021, cessant au même moment d’utiliser les seconds. “Notre objectif est de rendre les bijoux en diamant accessibles à un public plus large et pour davantage d’occasions”, argumente un porte-parole du groupe. La marque vante aussi l’empreinte carbone de ses rivales synthétiques, 95 % inférieure. Un atout de taille aux yeux de certains jeunes consommateurs.

Pour contrer cette concurrence, les diamantaires se mobilisent. Comme avec cette machine de vérification permettant de distinguer les deux types de pierres, dévoilée par De Beers, qui sera disponible en magasins. En parallèle, les campagnes marketing se multiplient, mettant l’accent sur un “trésor naturel”, datant de plusieurs millénaires, face à une pierre de laboratoire décrite comme artificielle. La querelle s’étend jusqu’à la sémantique. En France, un décret a tranché : impossible de recourir au terme de “diamant de laboratoire” pour un produit au moins partiellement fabriqué par l’homme. Seules les appellations “synthétique” ou “de synthèse” sont autorisées.

Le marché des diamants perd de son éclat au profit des pierres synthétiques.
Le marché des diamants perd de son éclat au profit des pierres synthétiques.

Cela peut paraître anecdotique, mais Alix Gicquel en a subi les conséquences. Cette professeure des universités avait fondé en 2016 la start-up Diam Concept, producteur français de diamants de synthèse. Au-delà des bagues et colliers, ces gemmes trouvent aussi des applications dans le quantique ou les semi-conducteurs. “Le diamant naturel présente des caractéristiques différentes d’une pierre à l’autre. Or pour des applications industrielles, la qualité du diamant doit obligatoirement être reproductible”, explique-t-elle. L’aventure a tourné court. En partie à cause d’une dénomination jugée dévalorisante par la chercheuse : “Avec l’appellation “synthétique”, qui fait plus penser à un produit bon marché qu’à la joaillerie, il était très difficile d’attirer les consommateurs qui associaient ces diamants à des “faux”, tel que la fourrure synthétique. Comment faire émerger un business avec un nom pareil ?”, regrette-t-elle.

Le russe Alrosa sanctionné

Une petite victoire pour la filière du diamant naturel, dont les défis restent significatifs. La géopolitique, notamment, s’invite dans l’équation. La Russie, premier producteur mondial de diamants en volume, a vu son géant national Alrosa visé par des sanctions liées à la guerre en Ukraine. D’après Reuters, l’entreprise pourrait accuser une baisse de sa production cette année. “Les sanctions contre la Russie n’ont pas eu d’impact fort sur les prix des diamants jusqu’à présent, étant donné les stocks excessifs des deux dernières années. Mais à mesure qu’ils se normaliseront, la production déclinant, les sanctions pèseront probablement davantage sur le marché”, anticipe Paul Zimnisky, consultant indépendant basé aux Etats-Unis.

Les prix seraient d’autant plus poussés à la hausse qu’en parallèle, l’extraction se révèle de plus en plus onéreuse. “Les coûts d’exploitation des mines ont augmenté et la productivité ne s’est pas améliorée au cours des dernières années, ce qui fait grimper la facture globale des diamants naturels”, constate Sebastian Reiter chez McKinsey. L’écart avec la version de synthèse risque donc de se creuser. Paul Zimnisky, lui, reste optimiste : “Les diamants sont depuis longtemps l’un des produits de luxe les plus populaires, rappelle le consultant. Je ne pense pas que cela va changer”. “Le diamant est éternel”, clamait le slogan historique de De Beers. Le mythe reste à vérifier.

L’Express

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