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Des détenus de la maison d’arrêt de Chambéry ou du centre de détention d’Aiton en Savoie décernent au Grand Bivouac d’Albertville un prix spécial.
Ils ont entre dix-huit et soixante-cinq ans. Sont détenus à la maison d’arrêt de Chambéry ou au centre de détention d’Aiton, en Savoie. Ils sont jury du prix «Horizons» du festival le Grand Bivouac d’Albertville, un des neuf prix décernés chaque année (palmarès complet à retrouver ici). L’occasion d’une rencontre rare de quelques heures.
«Chaque année, dans notre prison, ils font des affiches pour ce prix à attribuer à un documentaire. On postule, avec notre nom, prénom, numéro d’écrou. Madame Valcke, la prof (Marie-Pierre Valcke anime des ateliers d’écriture, ndlr) nous connaît. C’est un très beau projet, on a pu intervenir, discuter. C’est une grande fierté d’être membre du jury. C’est valorisant. On a appris des choses sur chaque film. Et on s’est mis d’accord facilement», explique un prisonnier (1). Leur mission ? Noter les films sur plusieurs plans : image, émotion, sujet, rythme, qualité du son; et choisir le meilleur… «On a jugé les films par rapport à notre point de vue à nous. On est incarcérés. Notre vision des choses est différente de celle de quelqu’un qui est en liberté. Nous, ce qu’on cherchait à voir, c’est quelque chose qui nous faisait nous évader de la prison», détaille un autre.
S’évader avec des images… Dans les documentaires proposés (liste à retrouver sur le site du festival), Il est question, selon eux, de «survie», de «s’adapter», de «progresser malgré les embûches». Ces films leur ont appris quelque chose. Un de ceux qu’ils ont choisis, Chris et la baleine, met en scène un grand cétacé. «Une baleine, c’est sept mètres de long et quarante tonnes. Comment un être humain peut tracter une baleine et la tuer ? 70 kilos contre quarante tonnes ? !!!»
Ce qui leur «parle», c’est que «dans ce film-là, il y a un peu de harcèlement. Le réalisateur a suggéré des émotions qui nous ont touchés. Le petit jeune n’a pas succombé aux détracteurs, malgré la polémique qui a surgi sur les réseaux sociaux (lorsque ce jeune garçon, membre d’un communauté indigène de l’Alaska a tué sa première baleine au harpon et a posté sur Facebook ses images), et à cause de laquelle il a fait une dépression et voulu se suicider…»
Un autre détenu poursuit : «Dans la société actuelle, tout va très vite. Un seul message de haine peut aboutir à des millions de messages de haine. Dans mon entourage, des gens sont harcelés, et ce n’est pas beau à voir ». « Dans ces films, c’est la sensibilité qui nous a touchés. Les parents de cet enfant ne communiquent pas avec lui. Il va à l’école des sourds et muets, il est seul au monde à huit ans», explique un autre faisant référence au film Name me Lawland.
Ils ont aussi participé à un atelier d’écriture avec Khaled Miloudi, «un ancien détenu devenu un peu écrivain, raconte un prisonnier. Il veut partager sa nouvelle voie, l’écriture. Il est sorti à soixante ans, après avoir passé la moitié de sa vie en prison. Cela n’amène nulle part ce milieu-là. Tu n’avances pas avec l’illégal. La prison ce n’est pas une vie. On a écrit des textes sur la liberté, l’échec, et l’enfance».
Un détenu abonde : «j’ai écrit, mais je ne suis pas un grand écrivain. J’ai tenté, et j’ai été étonné par ma performance. Je ne pensais pas que j’allais écrire ça… On se donne des barrières. Dans mon quartier on ne nous proposait pas des activités comme ça. Dehors, les choses ne sont pas accessibles… Il faut qu’on soit en prison pour développer des talents qu’on a en soi. C’est valorisant, exemplaire». Un autre complète : «Ce qu’on voit ici dans les films, ce sont des gens qui ont perdu leur liberté, et, avec la guerre, même la liberté de penser. Cela nous ouvre vraiment les yeux. On a de la chance de vivre ici. On a un confort de vie qu’on n’a pas ailleurs. Certains s’en plaignent. En France, même le plus démuni dispose de quoi manger, tandis qu’eux n’ont même pas d’eau potable. Pour nous ici, en France, la pire des journées qu’on va passer cela va être la meilleure des journées en Afrique. Celui qui a compris cela, ça lui ouvre les yeux sur la vie.»
A leur sortie, ils espèrent trouver un travail dans leur domaine de compétence : cariste, ambulancier, bûcheron, frigoriste… «Dans la vie, il y a des échecs, la route est longue. Mais quand on veut, on peut ! J’échouerai peut-être, mais j’essaierai. Le mot principal, c’est dans le désir et la volonté».
Denis Faroud, membre du comité de programmation du festival d’Albertville et intervenant au centre de détention d’Aiton (Savoie) pour le prix Horizons rappelle ce «classique» mot que lui ont confié quelques-uns : «Monsieur vous nous demandez de juger des films ! D’habitude, c’est nous qui sommes jugés». Ils ont beaucoup de respect pour les réalisateurs, et craignent de leur faire de la peine en ne les récompensant pas – «Il a duré quatre ans, le tournage !».
Marie-Pierre Valcke aura le mot de la fin en rapportant cette anecdote : un des plus jeunes détenus a trouvé «extraordinaire de féliciter quelqu’un pour son travail. Il était ébloui par cette possibilité».
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