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Elections américaines 2024
A l’occasion de la présidentielle aux Etats-Unis, «Libération» et la librairie le Comptoir des mots explorent le pays à travers 50 romans noirs. Cinq nouvelles étapes avec notamment Patricia Highsmith et Atticka Locke
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Avec Théodore Dillerin de la librairie le Comptoir des mots, dans le XXe arrondissement de Paris, l’équipe de Libé Polar a constitué une liste de 50 polars couvrant les 50 Etats d’Amérique. A la veille d’une présidentielle cruciale pour l’avenir des Etats-Unis et de la planète, il nous a paru important de mettre en avant un genre qui permet aujourd’hui de mieux comprendre le monde. Cette liste de polars est forcément subjective, il nous a fallu faire des choix drastiques, mais l’ensemble raconte formidablement bien les fractures de la société américaine, le racisme toujours présent, la montée de la violence, les inégalités sociales, mais aussi les paysages sublimes, les opportunités pour qui ose tenter sa chance, le rêve américain en somme, ou ce qu’il en reste.
Texas
Les bistrots d’Attica Locke
Préparez-vous à vous enfoncer dans la noirceur poisseuse des bayous, ce roman en est tout imprégné, et aussi de l’odeur du ragoût de queue de bœuf aux haricots noir, un plat qui vous leste un homme surtout s’il est arrosé de larges rasades de Wild Turkey. Bluebird, Bluebird d’Attica Locke est un polar comme on les aime. Ecriture magnifique, héros attachant, forcément cabossé, placardisé, rongé par le doute et la tristesse de voir sa femme s’éloigner ; et dénonciation féroce de la mainmise des suprémacistes blancs sur certaines zones des Etats-Unis. Darren Mathews est un ranger, sa grande fierté, mais un ranger noir, son immense faiblesse. Il est déjà plus ou moins sur la touche pour avoir tenté de protéger un Noir accusé de meurtre, quand l’un de ses collègues lui parle de deux morts suspectes, un Noir et une Blanche, au bord du bayou Attoyac, dans ce Texas où il a grandi. Comme aimanté par ce lieu dont il garde des souvenirs brûlants, Darren Mathews se rend sur place en clando. Et découvre une situation ubuesque. De chaque côté d’une même route, deux bars, l’un réservé aux Noirs, l’autre aux Blancs, et pas n’importe quels Blancs, la Fraternité aryenne du Texas. Ce polar est triste et beau comme un air de blues. A.S.
Attica Locke Bluebird, Bluebird, traduit par Anne Rabinovitch, Liana Levi, 320 pp., 20 € (ebook : 8,99 €).
Arkansas
Les pasteurs de Jake Hinkson
Né dans l’Arkansas en 1975, fils d’un prêcheur baptiste, Jake Hinkson semble avoir quelques comptes à régler avec le puritanisme religieux de son pays. En effet, chacun de ses six romans publiés aux éditions Gallmeister pour la traduction française met en scène un pasteur à la conduite peu recommandable. Dans Au nom du bien, Richard Weatherford officie à la paroisse de Stock, petite ville d’Arkansas. Prônant une ligne particulièrement rigoriste, il fait campagne pour l’interdiction de l’alcool au sein du comté alors que Donald Trump et Ted Cruz s’écharpent afin d’obtenir l’investiture du parti républicain en vue de l’élection présidentielle de 2016. Un samedi de Pâques à l’aube, un jeune homme tout juste majeur avec qui le pasteur entretient une relation secrète menace de révéler leur liaison s’il n’obtient pas 30 000 dollars de Weatherford. S’enclenche alors un mécanisme qui risque de s’emballer et d’échapper aux différents protagonistes qui, tour à tour, prendront la parole dans ce roman choral haletant. Jake Hinkson livre là un polar tendu et jouissif qui scalpe une Amérique aussi bigote qu’hypocrite. Th.D.
Jake Hinkson Au nom du bien, traduit par Sophie Aslanides, Gallmeister – Totem, 2020, 336 pp., 10 €, (ebook : 9,99 €).
Louisiane
Les intrigues hitchcockiennes de Patricia Highsmith
Publié pour la première fois en 1957 (avant d’être traduit en français l’année suivante), Eaux profondes n’est pas le titre le plus connu de Patricia Highsmith qui remporta le grand prix de littérature policière cette même année pour Monsieur Ripley, mais il mérite sa place dans cette sélection. Dans la petite ville de Little Wesley, en Louisiane, vit le couple Van Allen. Alors que Melinda enchaîne les aventures, Vic, son époux, se vante d’avoir éliminé un de ses anciens prétendants dont le corps a été retrouvé dans un appartement new-yorkais. L’affaire se corse lorsque Melinda trouve un nouvel amant qui finit au fond d’une piscine du quartier. Les regards se tournent alors vers le mari trompé : «Toute la scène baignait dans une lumière blafarde : la lueur blême et pâle de l’aube. Vic se dit que personne ne pouvait revenir à la vie avec un éclairage pareil. C’était une lumière pour mourir. Tout en regardant les infirmiers qui s’affairaient, qui posaient des questions, qui reprenaient la respiration artificielle, Vic se rendit compte de la fatigue qu’il éprouvait. Il eut l’impression de sortir d’une transe. Il comprit pour la première fois que, si l’on ranimait De Lisle, il était perdu.» Porté à l’écran par Michel Deville en 1981 avec Jean-Louis Trintignant et Isabelle Huppert, Eaux profondes, thriller au scénario très hitchcockien, se déroule dans une Louisiane résidentielle et urbaine. Afin d’en découvrir une autre facette, nous conseillons vivement la lecture de l’œuvre de James Lee Burke dont le héros récurrent, Dave Robicheaux, nous entraîne des rues de La Nouvelle-Orléans jusqu’aux bayous de la Louisiane. Th.D.
Patricia Highsmith Eaux profondes, traduit par Jean Rosenthal, Le Livre de poche, 351 pp., 8,90 €, (ebook : 7,49 €).
Notre précédente sélection
Mississippi
Les fantômes de Percival Everett
Dans la petite ville de Money, dans le Mississippi, on continue de se méfier des Noirs. Les rednecks adeptes de Donald Trump ne valent pas mieux que leurs ancêtres du Ku Klux Klan. Alors, quand on découvre une série de meurtres d’hommes blancs, défigurés, étranglés au fil de fer barbelé et mutilés, la haine monte en flèche. D’autant qu’à côté des corps se tient à chaque fois un second cadavre, celui d’un Noir, toujours le même, qui apparaît et disparaît. Et ce fantôme ressemble à Emmett Till, lynché dans les années 50. Son histoire est restée dans les mémoires de la cité car l’adolescent avait été accusé d’avoir sifflé une jeune fille blanche. A cette histoire criminelle, Percival Everett ajoute un duo de flics noirs, Jim Davis et Ed Morgan, un peu cinglés et franchement drôles, qui vont travailler sur l’enquête avec le shérif de Money. Percival Everett est un malin, il fait passer l’horreur à coups de grosses blagues, joue avec les codes du polar et du western, ajoute une pincée de fantastique pour brouiller les pistes. Il connaît ses classiques car on sent qu’il a lu Chester Himes et adoré ses personnages fétiches, Ed Cercueil et Fossoyeur Jones. Entre deux scènes de crime, l’auteur brosse un portrait de l’Amérique pleine de boue et de haine. L’affaire se termine devant une chambre froide mais pas question d’en dire plus. Ch.F.
Percival Everett Châtiment, traduit par Anne-Laure Tissut, Actes Sud, 368 pp., 22,50 € (ebook : 14,99 €).
Tennessee
Les turpitudes financières de Vlad Eisinger
Vlad Eisinger a quitté New York et son métier d’analyste financier pour s’installer en Floride, dans la maison léguée par sa mère à Destin, au bord du golfe du Mexique. Il a supprimé toute dépense inutile et peine à vendre des livres qu’il peine à écrire. Son agente, Lori Jacobson, s’arrache les cheveux. Mais elle s’échine à sortir la tête d’Eisinger de l’eau. Et, ce coup-ci, elle a ce qu’il lui faut : le patron d’une grosse boîte de télécoms cherche un journaliste pour écrire l’histoire de l’entreprise. Elle a accepté pour lui, un jet privé l’attend pour le conduire dans le Tennessee. S’asseyant sur son amour-propre d’écrivain, Eisinger va accepter la mission. Mais son projet ne plaira pas au patron. Trop littéraire. Obligé de repartir de zéro, il va s’inventer un pseudo, Tom Capote, et écrire l’histoire d’un écrivain chargé d’écrire l’histoire d’un grand patron ou plutôt de ses turpitudes financières. Une entreprise qui va lui permettre d’intégrer la liste des best-sellers mais lui valoir d’être menacé par de dangereux tueurs. C’est drôle, intelligent, plein de rebondissements et truffé de références aux Américains Raymond Chandler et Dashiell Hammett, les inventeurs du détective hard-boiled (dur à cuire) et aussi au Français Jean-Patrick Manchette, le père du néopolar. A.S.
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