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Guerre civile
Confrontés à une contre-offensive de l’armée régulière, les paramilitaires des Forces de soutien rapide ont multiplié les exactions contre les civils dans la vallée du Nil, au sud de Khartoum.
C’est le troisième front de la guerre civile soudanaise cet automne. Depuis plusieurs jours, l’Etat de la Jézira, au sud de Khartoum, a été le théâtre d’un déchaînement de violences des Forces de soutien rapide (RSF, selon leur acronyme en anglais) envers les civils, ayant fait au moins 200 morts dans une dizaine de villages. Sur le terrain, les troupes paramilitaires du général Hemetti, qui affrontent les soldats de l’armée régulière depuis l’éclatement du conflit armé, le 15 avril 2023, apparaissent, pour la première fois, sur la défensive.
Dans la capitale, l’armée soudanaise, qui s’était repliée au sein de quelques secteurs fortifiés ou dans des quartiers périphériques, a repris l’initiative le 26 septembre en lançant une vaste offensive. Elle a notamment réussi à s’emparer de plusieurs ponts stratégiques sur le Nil, permettant de désenclaver des emprises militaires isolées qui n’étaient jusque-là ravitaillées que par voie aérienne. L’armée est soutenue par des bombardements de l’aviation. Mais les snipers déployés par les RSF dans le centre-ville de Khartoum bloquent la progression des soldats.
Raids éclairs
Le second front est celui d’El-Fasher, la capitale historique du sultanat du Darfour, que les RSF assiègent en vain depuis le mois de mai. La ville est défendue par la sixième division de l’armée soudanaise, mais surtout par ses alliés, les anciens groupes rebelles du Darfour (notamment le Mouvement de libération du Soudan dirigé par Minni Minnawi). La bataille s’est étendue à d’autres localités du Darfour, sur fond de tensions ethniques entre les miliciens arabes qui ont rejoint les troupes de Hemetti et les combattants zaghawas qui composent le gros des forces de l’ancienne rébellion. Là encore, les RSF, qui contrôlent pourtant la quasi-totalité du Darfour, leur région d’origine, ont essuyé de sérieuses pertes.
Le troisième front est donc celui de la Jézira. Un Etat agricole, irrigué par le Nil Bleu et ses affluents. Les RSF s’en étaient emparés à la surprise générale en décembre 2023, au terme d’une série de raids éclairs. Six mois plus tard, les paramilitaires poussaient leurs conquêtes jusqu’à l’Etat de Sennar, encore plus au sud. L’armée soudanaise, dirigée par le général Al-Burhane, semblait alors dépassée, incapable de stopper la progression des hommes de Hemetti. Dans les villes et villages passés sous leur contrôle, les RSF ont imposé leur administration par la force, rackettant et terrorisant la population en toute impunité.
Défection d’un puissant commandant
Mais ici aussi, la fin de la saison des pluies a marqué le début de la contre-offensive de l’armée. Dans l’Etat de Sennar, les forces régulières ont repris la ville de Dinder le 23 octobre, puis d’Al-Souki deux jours plus tard. Dans l’Etat de la Jézira, c’est la défection d’un important commandant RSF, Abu Aqlah Keikel, qui a permis à l’armée de reprendre l’avantage. Keikel est un homme volatil. Il était le chef du Bouclier du Soudan, une puissante milice islamiste formée juste avant la guerre pour appuyer l’armée soudanaise. Il avait déjà changé de camp en rejoignant les RSF l’an dernier. Devenu gouverneur de facto de la Jézira, Keikel a de nouveau retourné sa veste.
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Sa reddition a eu lieu le 21 octobre dans la plaine de Butana, au nord de Wad Madani, la capitale régionale de la Jézira. L’opération semblait coordonnée avec les militaires soudanais, qui l’ont accueilli en héros. Le général Al-Burhane lui a publiquement offert l’«amnistie», comme pour «tout rebelle qui se range du côté de la nation et se présente à la base militaire la plus proche». La volte-face de Keikel «pourrait avoir donné aux Forces armées soudanaises un avantage temporaire lors de leur avancée dans l’Etat, en leur fournissant des renseignements clés et en semant la confusion dans les rangs des paramilitaires, ce qui a porté un coup au moral de ces derniers», estime le site spécialisé Sudan War Monitor.
Irrigation et foudres
Cette défection serait aussi à l’origine de la violente campagne de représailles menée par les RSF dans les villes et villages de la Jézira, où Keikel était influent. L’attaque la plus meurtrière a eu lieu le 25 octobre à Al-Sreiha. Selon le ministre de la Santé, Haitham Mohamed Ibrahim, 124 habitants du village ont été tués par les paramilitaires. Des détenus exécutés auraient été retrouvés dans les canaux d’irrigation et les champs autour de la localité. Les cités agricoles d’Al-Hilaya, Azraq, Al-Jaqoqab ou Tamboul ont également subi les foudres des RSF. Des dizaines de milliers d’habitants ont fui vers l’est, dans les zones sous contrôle de l’armée. Les comités locaux de résistance (des groupes de solidarité civils issus de la révolution de 2019) décrivent depuis une semaine de violences généralisées, des mosquées assiégées, des pillages, des viols et des bastonnades.
Ces exactions ont fait réagir Washington. «Les Etats-Unis condamnent ces attaques avec la plus grande fermeté et demandent aux RSF de cesser immédiatement les violences contre les civils, a déclaré le porte-parole du département d’Etat, Matthew Miller, mardi 29 octobre. Ces attaques odieuses ne sont malheureusement que les dernières en date d’une guerre qui dure depuis bien trop longtemps.»
Le même jour, Mohamed Chande Othman, qui a présidé une mission d’enquête sur les violations des droits de l’homme au Soudan, livrait ses conclusions : «L’ampleur des violences sexuelles que nous avons constatées au Soudan est stupéfiante, a-t-il annoncé. Les enfants ne sont pas épargnés, et des femmes et filles sont enlevées à des fins d’esclavage sexuel. Il n’y a plus d’endroit sûr au Soudan.»
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