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Climat Libé Tour : reportage
En associant usines de production et sites de recyclage, la zone devait être un symbole de la réindustrialisation de Dunkerque et des Hauts-de-France. Si les signaux d’alerte se succèdent depuis quelques mois, elle reste un objectif majeur pour les acteurs locaux.
«Tout ne se passe pas comme on l’aurait souhaité, mais nous n’avons pas d’autre choix que d’y aller.» Matthieu Hubert, le secrétaire général d’Automotive Cells Company (ACC), la première gigafactory de batteries électriques en activité en France, ne cherche pas à éluder les difficultés : l’usine pionnière, inaugurée en mai 2023 dans la zone d’activité de Douvrin (Pas-de-Calais), connaît un démarrage compliqué.
Créé par Stellantis, Mercedes-Benz et TotalEnergies, le site, première brique opérationnelle d’un vaste processus de réindustrialisation des Hauts-de-France misant largement sur la création d’une filière complète de la batterie automobile, est à la peine. La production de l’année 2024 n’équipera que 2 500 véhicules au maximum. «On est très en deçà de nos objectifs initiaux, admet Matthieu Hubert. Ça fragilise un peu l’édifice, forcément : nos recettes ne sont pas au niveau attendu, alors que nos coûts sont relativement fixes.»
Coup de froid
En juin, tandis qu’un coup de froid soufflait déjà sur le marché européen des véhicules électriques à batterie, ACC annonçait mettre en «pause» ses projets d’usines en Allemagne et en Italie – une façon de s’accorder un délai de réflexion sur la stratégie à adopter face à des technologies en pleine évolution. Moins performante mais plus économique, la chimie LFP (lithium, fer, phosphate) pour laquelle ont opté – avec succès – les acteurs Chinois du secteur laisse les Européens songeurs.
«On part de zéro et le défi est immense, pose, sans dramatiser, le secrétaire général d’ACC. On ne connaît pas très bien le produit ni le process de fabrication, les compétences sont à créer… Mais le cap est fixé, on ne peut pas faire de refus d’obstacle. Notre discours aujourd’hui est celui de la lucidité, notre volonté n’est pas remise en cause par ces difficultés.»
Dès le début de l’automne, deux mauvaises nouvelles pour l’industrie régionale sont tombées coup sur coup : l’abandon du partenariat entre le constructeur automobile Stellantis et le spécialiste des déchets nucléaires Orano (ex-Areva), d’abord. Tous deux devaient s’associer, à Dunkerque, autour d’une coentreprise vouée au recyclage des batteries électriques.
Puis, fin octobre, le désistement du groupe minier français Eramet d’un autre grand projet industriel de recyclage qu’il portait avec le groupe Suez. Un projet qui devait voir le jour en 2027 dans le sillage de l’implantation des futures gigafactories de la start-up grenobloise Verkor et du taïwanais ProLogium dans la cité de Jean Bart.
Eramet a souhaité le «suspendre», a-t-il été annoncé, «dans l’attente d’un modèle économique solide et pérenne en Europe». Et sa PDG, Christel Bories, de pointer la mise en route très laborieuse de la chaîne de valeur des batteries, ainsi que «de fortes incertitudes, à la fois sur l’approvisionnement en matières premières de l’usine, ainsi que sur les débouchés des sels métalliques issus du recyclage».
Prudence et confiance
Dans le Nord et le Pas-de-Calais, l’optimisme béat du départ a cédé le pas à une certaine prudence. «C’est moins spectaculaire que prévu, mais ce n’est peut-être pas plus mal que ça n’aille pas trop vite. Ça laisse le temps à tous les maillons de la chaîne de se mettre en place, assure le conseiller régional délégué à la transformation économique Frédéric Motte. Face à la tempête qui arrive, nous devons faire preuve de ténacité.»
«Les acteurs majeurs qui investissent ici ne remettent pas en cause leurs projets, souligne le président du directoire du port de Dunkerque, Maurice Georges. Par exemple, XTC et Orano viennent de signer le contrat officialisant leur réserve foncière [pour la construction de leurs usines, sur une surface de plus de 50 hectares ndlr].» Le chinois XTC et le français Orano ont en effet décidé de s’associer pour la construction de trois sites industriels (deux de fabrication de composants pour batteries et le dernier de recyclage) sur le site du port. Un investissement de 1,5 milliard d’euros, avec 1 700 emplois à la clé à l’horizon 2026.
Même si le ciel s’est légèrement obscurci au-dessus de la vallée de la batterie, les décideurs des Hauts-de-France persistent à voir le verre à moitié plein. «C’est le moment de se serrer les coudes, observe Frédéric Motte. Comme le disait Jean-Pierre Raffarin : “Notre route est droite, mais la pente est forte.” La période est un peu compliquée, certes, mais la décarbonation est une vraie lame de fond, il faut tenir. Et être fiers de participer à cette aventure incroyable… Franchement, c’est un truc de dingue, ce qu’on est en train de faire. Ça n’arrive qu’une fois dans la vie.»
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