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Fières de lettres
Chaque mois, la Bibliothèque nationale de France met en lumière une œuvre d’écrivaine méconnue, à télécharger gratuitement dans Gallica. Aujourd’hui, «les Pensées d’une reine» de la souveraine de Roumanie, qui emprunte son nom de plume à la nature.
La princesse Elisabeth Pauline Ottilie Luise zu Wied voit le jour le 29 décembre 1843 au château de Monrepos, en Allemagne. Fille du prince Herman zu Wied et de Marie de Nassau, elle est issue d’une lignée princière prestigieuse, avec un oncle futur grand-duc de Luxembourg et une tante reine de Suède. Elle est élevée dans une atmosphère classique, avec une enfance marquée par la rigueur de l’éducation aristocratique partagée avec ses deux frères, dont l’un meurt jeune.
Après un projet d’union avec le prince de Galles, elle épouse en 1869 le prince Karl de Hohenzollern-Sigmaringen (1839-1914), destiné en 1866 à devenir le roi Carol 1er de Roumanie. Malgré les caractères très différents des époux, l’union est, dans les premiers temps, harmonieuse. Mais la mort de leur unique enfant, Marie, âgée de 3 ans, cause une déchirure dans la vie de la jeune mère.
L’écriture et la musique comme reflets
Figure de la culture littéraire et artistique du XIXe siècle, résolument moderne dans ses actions et sa pensée, comme le dévoile Gabriel Badea Paun dans la biographie, qu’il lui consacre, la reine Elisabeth réussit à allier ses responsabilités royales à une véritable passion pour l’écriture.
Lire «les Pensées d’une reine» sur Gallica :
Son œuvre phare, les Pensées d’une reine, publiée en 1882 et récompensée par le prix Botta de l’Académie Française en 1888, aborde des thèmes universels comme l’amour, l’amitié et la souffrance. Elle y partage sa sagesse : «Ne cherchez de consolations que dans les choses immortelles : la nature et la pensée.» Cette phrase illustre son lien profond avec la nature, qui lui inspire, vers ses 35 ans, le nom de plume Carmen Sylva, signifiant «chant de la forêt». La reine retrouve ainsi, sublimés dans l’art, la forêt et la liberté de son enfance : «Carmen, le chant, Sylva la forêt /Chanta de soi-même le chant des bois.» Un de ses nombreux admirateurs, Vincent Van Gogh, cite ses Pensées dans sa correspondance.
La musique joue également un rôle crucial dans sa vie. Elle reçoit des leçons de piano d’Arthur Rubinstein et de Clara Schumann, et prend sous son aile, sa vie durant, le compositeur George Enesco, qui adapte en musique ses vers. La reine écrit de sa main cette lettre à Gabriel Fauré après avoir écouté une de ses Sonates interprétée par Hélène Bibesco et George Enesco.
Carmen Sylva laisse un héritage littéraire d’une quarantaine d’œuvres comprenant poèmes, contes, romans, essais et traductions. Les Contes de Pélech, mêlant folklore roumain et fiction invitent à découvrir le château de Peleș, un Versailles roumain, lieu de rencontres pour artistes et penseurs, un foyer de créativité où elle peut s’exprimer librement.
Ses traductions en allemand des légendes populaires roumaines, comme les Rangs des perles de Vasile Alecsandri, poète en vogue à l’époque, témoignent de sa volonté de préserver et de partager le patrimoine culturel de son pays d’adoption. Parmi ses traductions notables en allemand, sa langue natale, on trouve des œuvres de Pierre Loti, son précieux ami et de Guy de Maupassant, D’autres textes comme Sur le Danube, un journal de voyage fait en 1904, de Turnu Severin à la Mer Noire ou Aliunde publié en 1912, en français à Bucarest restent à découvrir. Elue membre de l’Académie de Roumanie en 1882, elle prononce en roumain son discours de réception.
Passionnée et romantique, la reine cultive des amitiés profondes, notamment avec l’impératrice d’Autriche, Sissi. Les deux femmes partagent un amour pour la littérature, se soutenant mutuellement face à des époux plus prosaïques. En 1888, elle tisse une relation fusionnelle avec Hélène Vacaresco, une poétesse issue de la noblesse roumaine. Leur amitié, marquée par des échanges littéraires et spirituels, est mise à l’épreuve lorsque l’héritier du trône, le prince Ferdinand, tombe amoureux d’Hélène. Le soutien de Carmen Sylva à leur amour provoque des tensions politiques, menant à son exil entre 1892 et 1894 chez son frère et sa mère, à Neuwied. C’est là, qu’elle reçut pour la première fois la jeune Marie d’Edimbourg, que Ferdinand s’était décidé à épouser, et qui, reine à son tour en 1914, saurait se créer une légende comme le fit Carmen Sylva.
L’écho de sa voix sur disque
En 1903, Carmen Sylva laisse également une empreinte sonore. Contactée, par Fred Gaisberg, responsable de la société discographique «Gramophone and Typewriter Limited» de Londres, qui s’était lancée dans une politique d’enregistrement d’artistes et de personnalités célèbres. Elle enregistre le 9 mars 1903 plusieurs de ses poèmes et réflexions : Communion, Mittagsläuten et Kanaan en allemand, Pensées, en français et allemand, A Friend, en anglais. Ces 9 minutes d’enregistrement sont donc l’unique témoignage de la voix mélodieuse de Carmen Sylva, qui charmait tant ceux qui l’approchait. Ils firent l’objet d’une publication en quatre disques monofaces de la marque Gramophone Concert. Aujourd’hui rarissimes (il est probable qu’il ne fut pas pressé un grand nombre d’exemplaires), ces disques semblent n’avoir jamais été republiés depuis 1903.
Carmen Sylva ne se contente pas d’être une reine écrivaine ; elle s’engage aussi pour le bien-être de ses sujets. Elle fonde des écoles et des associations caritatives, œuvrant pour l’éducation des femmes et l’amélioration des conditions de vie des plus défavorisés. Son initiative pour créer le Foyer lumineux ou l’école de broderie Elisabeta Doamna témoigne de son dévouement.
La mémoire de Carmen Sylva perdure, notamment grâce à la reine Marie de Roumanie, qui, dans ses Mémoires, la qualifiant de «reine-poète sans pareille» et de modèle de bienveillance, «d’une infinie générosité». La Fondation royale de Roumanie s’engage à poursuivre son héritage artistique et humain, témoignant de la place qu’elle occupe encore dans le cœur des Roumains.
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