Biodiversité en danger : pleurer, vivre et agir, par Mathieu Potte-Bonneville

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Pour le directeur du département culture et création du centre Pompidou, le chagrin que l’on ressent face à la disparition des bêtes et arbres n’empêchent l’action, bien au contraire.

par Mathieu Potte-Bonneville, directeur du département culture et création du Centre Pompidou

C’était il y a trois ans. Dans une note de blog du Monde diplomatique, le philosophe et économiste Frédéric Lordon livrait un réquisitoire féroce contre la manière dont les enjeux de biodiversité trouvent à s’inviter dans l’actualité de la pensée, de l’art et du débat public. Il soupçonnait une escroquerie intellectuelle dans les efforts des philosophes pour conceptualiser autrement le vivant («Jusqu’à présent, c’étaient plus ou moins des biologistes et des zoologistes»), et interprétait l’attention pour ces sujets dans les lieux d’arts et de création comme une manière de troquer la lutte contre les effets du capitalisme contre une forme de chantage à l’émotion.

Au-delà de la critique nécessaire du greenwashing, Lordon voyait dans cette attention pour les formes de vie un alibi et un puissant vecteur de dépolitisation, substituant aux rapports de force cette affection universelle que suscitent plantes et animaux. Le titre de la note, «Pleurnicher le vivant», était drôle et méchant, même si le rien de virilisme qui teintait cette stigmatisation de la «sensiblerie» aurait dû alerter davantage.

Trois ans plus tard, de fait : on peine à retenir ses larmes. Le 1er novembre, lors de la 16e COP biodiversité organisée à Cali, douze jours de discussion et douze heures en séance plénière n’ont permis de conduire à aucun accord sur le financement et l’évaluation des mesures – ni même d’ailleurs au constat d’un désaccord, puisque c’est le départ de nombreuses délégations au petit matin qui a entraîné l’interruption des débats, devant une assemblée de représentants devenue aussi clairsemée que les écosystèmes qu’elle aurait dû préserver.

Trois jours plus tard, l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis rappelle, entre autres périls, que son premier mandat avait été marqué par l’annulation de multiples volets de l’Endangered Species Act, loi promulguée en 1973 et devenue une référence en matière de protection de l’environnement. Dans le même temps, inlassablement, l’effondrement de la biodiversité se voit documenté – la dernière mouture du rapport «Planète vivante» publié par le WWF réévalue à la hausse la perte d’abondance de la vie sauvage depuis les années 70, et l’Union internationale pour la conservation de la nature annonce qu’un arbre sur trois, soit l’équivalent de 15 000 essences, est menacé d’extinction.

Pleurer bêtes et arbres ? Comme on le disait au temps de la lutte contre le sida, certains deuils sont de part en part politiques. L’élection de Trump souligne assez qu’il n’y a pas à choisir entre l’attention au vivant et la contestation active des choix de société qui rendent cette planète inhabitable, et que soutiennent de puissants intérêts économiques. D’autre part, comme le rappelait Judith Butler lors de sa récente invitation intellectuelle au centre Pompidou, le chagrin est un puissant vecteur pour exiger justice pour peu que l’on cesse d’opposer sensibilité et mobilisation, art et savoir, renouvellement de nos imaginaires et accroissement de notre lucidité collective. Pleurer, enfin, n’est pas seulement déplorer, mais agir si, pour le dire avec les mots de l’écrivaine Rebecca Solnit au lendemain du scrutin aux Etats-Unis «tout ce que nous pouvons sauver vaut la peine de l’être».

Pleurer ensemble comme Björk mêlant sa voix au cri des animaux dans les escaliers de Beaubourg, n’est pas une manière de se voiler la face : c’est une autre façon d’avoir les yeux ouverts.

Libération

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