Il faut déconstruire notre culture de la violence écologique qui banalise la destruction du vivant

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Quelle culture pour quel futur ?dossier

Par Marine Calmet, juriste, présidente de l’association Wild Legal, fellow Ashoka France.

par Marine Calmet, juriste, présidente de l’association Wild Legal, fellow Ashoka france

«La négation de l’Autre, de sa spécificité et de ses droits a toujours été une des caractéristiques de la suffisance des peuples européens se considérant comme les porteurs de flambeau de la seule vraie civilisation et de la seule vraie foi. Dans cette perspective ethnocentrique, nos terres étaient à conquérir, nos peuples à civiliser selon votre système de valeurs».

C’est avec ces mots qu’en 1984 Félix Tiouka, jeune leader amérindien de Guyane, tient un discours face à l’administration française coloniale. Il y soulève des réflexions brûlantes sur la différence entre les cultures au travers des liens intrinsèques entre le colonialisme et les intérêts industriels aboutissant à ce rapport prédateur à la nature du monde occidental, si éloigné de la cosmovision amérindienne et de ses traditions.

La colonisation est l’expression d’une relation prédatrice du monde occidental avec la terre – la terre des autres. En Guyane, le droit français a privé les peuples autochtones de leur droit à l’autodétermination et continue d’imposer un modèle d’organisation qui touche au quotidien de chaque individu amérindien.

Cette violence structurelle s’exerce envers de nombreux êtres humains. Le droit a ainsi longtemps autorisé l’asservissement des esclaves noirs. Jusqu’au siècle dernier, le régime juridique patriarcal, s’exerçant en France des hommes sur les femmes, a privé le genre féminin tout entier de ses droits politiques et économiques, et banalisé une culture du viol dont la déconstruction difficile s’illustre par les nombreux scandales qui traversent actuellement le monde du cinéma et bien d’autres.

Le droit est une fiction sociale, écrite par les humains pour les humains, afin d’encadrer leurs relations et de consolider celles-ci dans un ciment commun. Cette fiction peut évoluer, notamment en fonction des mutations des mentalités et de la représentation du monde. Ces mutations influencent le droit et vice versa.

Or notre droit est l’héritage du droit romain. Il organise le monde de manière binaire, distinguant uniquement entre d’une part les personnes – nous humains – et les biens. C’est ainsi que les êtres qui n’ont pas l’insigne honneur d’appartenir à notre espèce, se voient inscrits au catalogue des biens. Cette classification rend d’autant plus complexe de penser notre relation aux non-humains en dehors de cette binarité juridique, sur laquelle repose l’ensemble de notre modèle économique et social.

«Tant que la chose privée de droit n’a pas reçu ses droits, nous ne pouvons la voir que comme une chose à “notre” usage – c’est-à-dire à la disposition de ceux qui possèdent des droits à ce moment-là», affirme le Professeur Stone en 1972 dans l’ouvrage fondateur Les arbres doivent-ils pouvoir plaider ? Ce professeur de droit public aux Etats-Unis, pionnier du mouvement des droits de la nature souligne à quel point il est confortable pour les «dominants» de catégoriser juridiquement les Autres comme inférieurs «par nature». A la lumière des discriminations entre êtres humains, il nous amène à penser les discriminations spécistes et les violences écologiques contre les autres qu’humains.

Car dans le modèle de droit occidental, il semble parfaitement normal que l’ensemble des entités qui composent la biosphère soient juridiquement considérées comme des marchandises ou des «services écosystémiques». Gisements exploitables à la merci des pulsions humaines, le monde naturel est dominé par homo sapiens et n’a d’autre destin que de lui servir.

Le mouvement des droits de la nature repose sur la reconnaissance de la personnalité et des droits propres des entités naturelles afin de garantir le respect de l’intégrité et de la santé des milieux de vie, afin de les protéger, de nous protéger des normes du marché.

Depuis 2008, de l’Equateur à la Nouvelle-Zélande, des Etats-Unis à l’Espagne, le mouvement connaît un essor mondial et permet d’éclaircir l’horizon juridique, sur d’autres manières de cohabiter le monde, cohabiter avec d’autres qu’humains – le lynx, le loup, le requin…- en reconnaissant simplement que ces êtres sont là, et ont le droit de partager cette terre avec nous.

Décoloniser notre culture au vivant, c’est reconnaître les droits de tous : humains et autres qu’humains. Il faut étayer ce nouveau paradigme culturel d’une fiction juridique capable de remettre la loi au service du vivant.

Libération

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