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Asie du Sud-Est
Un cocktail frelaté a coûté la vie à au moins six touristes étrangers ce mois-ci à Vang Vieng. Dans de nombreuses régions, les alcools artisanaux tuent des milliers de personnes chaque année.
Le méthanol ou alcool méthylique est un composant chimique utilisé dans l’industrie automobile (antigel, liquide lave-glace), dans les vernis, les peintures ou encore les fluides pour photocopieuses. Dans certains pays, il est aussi détourné pour renforcer le degré d’alcool d’une boisson, en général artisanale, qui se transforme en poison si le dosage est mal géré : 25 millilitres suffisent à tuer un être humain. Un groupe de touristes en a fait l’expérience au Laos le 11 novembre : six sont morts, six autres hospitalisés.
Décryptage
Les visiteurs avaient posé leurs sacs à dos dans une auberge de Vang Vieng, une ville du nord-ouest du pays asiatique, prisée par les routards. Un cocktail leur a été offert au Nana Backpackers Hostel le 11 novembre dans la soirée, que la plupart voulaient prolonger en boîte de nuit. Pris de malaises le soir même ou le lendemain, douze touristes ont été hospitalisés sur place, puis dans la voisine Thaïlande. L’alcool frelaté a tué deux Australiennes de Melbourne âgées de 19 ans, une avocate britannique de 28 ans originaire du Kent, deux Danois et un Américain.
«Jungle parties» à base d’alcool et de drogues
L’affaire, couverte de façon intensive par les médias des pays d’origine des victimes, tombe mal pour Vang Vieng, siège d’une ancienne base militaire américaine. La ville est parvenue à se défaire de sa réputation de défouloir où les jeunes étrangers accouraient à des fêtes («jungle parties») saturées d’alcool, de drogues et de sexe. En 2012, le régime communiste, instauré en 1975, décidait de mettre un terme aux débordements en fermant la plupart des bars et hôtels.
Depuis, Vang Vieng s’est reconvertie dans un tourisme vert privilégiant les randonnées et la spéléologie dans les nombreuses grottes de cette région montagneuse, aux paysages majestueux. Le Laos est d’ailleurs une destination à la mode : le guide anglais Lonely Planet vient de placer le pays dans sa liste des dix lieux à visiter en 2025, aux côtés du Cameroun, des îles Fidji, de la Lituanie et du Paraguay.
Le Nana Backpackers Hostels où étaient hébergés les visiteurs est l’une des nombreuses résidences bon marché qu’offre Vang Vieng. Avec sa petite piscine, son bar ouvert tard et son restaurant, il recueille sur les sites de réservations hôtelières des avis en majorité favorables. Sur l’un d’eux, Agoda, l’établissement précise dans sa présentation : «Terminez vos journées avec de la vodka et du whisky gratuits.»
La police, qui a convoqué le gérant et le propriétaire du Nana afin de les interroger, doit définir si ces spiritueux offerts ont causé la mort des touristes. Aucune inculpation n’a encore été prononcée à ce stade.
Médecins sans Frontières (MSF) a cartographié les intoxications au méthanol à travers le monde. Le pays où elles sont le plus répandues est l’Indonésie, mais c’est l’Iran qui détient le record de personnes affectées. Après consommation du produit, le taux de mortalité est évalué entre «20 % à 40 %, en fonction de la concentration de méthanol toxique et de la quantité consommée», écrit MSF, qui précise que «de nombreux décès ne sont jamais identifiés comme des intoxications au méthanol». Sur les dix pays les plus touchés par le fléau, huit sont en Asie.
En Indonésie, l’alcool de contrebande est distillé à base de fleur de noix de coco, de riz et de canne à sucre, et connu sous le nom de «miras oplosan» («liqueur mélangée»). Il est proposé dans des boutiques de spiritueux ne détenant aucune licence. En Inde, le «hooch», tiré de la canne à sucre ou du riz, est vendu dans des bouteilles en plastique pour 25 à 30 roupies : environ 0,30 euro. C’est vingt fois moins cher que le rhum ou le whisky élaborés légalement dans le pays. L’intoxication la plus grave s’est produite en février 2019 parmi les cueilleurs de thé d’une plantation de l’Etat d’Assam. Au moins 168 décès avaient été signalés.
Les ravages du «gin aveugle»
Au Cambodge, les populations rurales brassent une bière de riz traditionnelle, mais en raison de la hausse des prix du bois de chauffage, les méthodes ancestrales sont remplacées par des moyens chimiques, notamment l’emploi de méthanol issu de la distillation du bois. Au Vietnam, plus grand consommateur d’alcool de l’Asie du Sud-Est, on estime que 85 % de l’alcool produit localement est d’origine artisanale, et les intoxications au méthanol sont fréquentes. Aux Philippines, le «gin bulag» (littéralement «gin aveugle») est réputé provoquer la cécité.
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Le reste du monde est lui aussi confronté à des vagues d’empoisonnements au méthanol. Au Pérou, 54 consommateurs sont morts en 2022 après avoir ingéré une vodka aromatisée aux fruits, pourtant vendue dans le commerce légal. Au Maroc, en juin, plus de 150 habitants d’un village proche de Kenitra (nord du pays) avaient été hospitalisés après avoir arrosé à l’eau-de-vie maison la victoire du Real Madrid en Ligue des Champions de football. Au moins quinze étaient mortes.
Les empoisonnements massifs peuvent être liés dans certains cas à l’interdiction de vente d’alcool, la seule façon de s’en procurer étant le marché noir. Au Maroc, la vente de boissons alcoolisées n’est pas autorisée à la population locale depuis une loi de 1967. Seuls les étrangers peuvent s’en procurer, en attendant une dépénalisation régulièrement envisagée. Dans l’Etat indien du Bihar, où la prohibition a été imposée en 2016, les morts par intoxication au méthanol se comptent par centaines chaque année. Cette «loi sèche» fait les affaires du Népal voisin, où les Biharis se rendent en masse pour s’enivrer en toute légalité.
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