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Des photophores sur des tables de bistrot nappées de rouge, une lumière tamisée fondant sur de larges canapés : le froid qui commence à piquer les nuits toulousaines s’évanouit au moment de franchir le seuil de la Chapelle. Sous l’apparente et majestueuse charpente en bois, de petits groupes s’installent confortablement en ce lundi soir de novembre. Bienvenue à la Relâche, la soirée hebdomadaire autogérée devenue une institution dans les cercles militants du coin.
A la cantine ce soir, un collectif improvisé vise à lever des fonds pour les personnes déplacées du Liban. Derrière le comptoir, Fanny explique, avant de se lancer dans le service : «J’ai une amie au Liban qui cherche à récolter de l’argent pour organiser l’accueil des réfugiés du sud du pays. Le village où elle habite a vu sa population passer de 4 000 à 40 000 habitants depuis le début des frappes israéliennes.» Deux euros l’assiette ou participation libre : les fonds financeront l’achat de nourriture et de couvertures là-bas.
Au cœur des mobilisations locales
Aide aux réfugiés, mobilisation contre les retraites, ZAD de Sivens ou encore CPE… plus de trente années de luttes ont défilé sous les auspices de cet ancien édifice religieux, niché entre deux immeubles, tout proche de l’hypercentre de Toulouse. Dans cette rue, à portée de mégaphone du conseil départemental, le prix du logement frôle les 5 000 euros le m². En 1993, les prix n’en étaient pas là, mais ce lieu abandonné est devenu un symbole pour dénoncer la spéculation immobilière. «La Chapelle naît le 4 juillet 1993, à la suite d’une action de l’association Planète en danger», se souvient Yann, habitué du lieu depuis la fin des années 90. Ce jour-là, des militants de cette association écolo aujourd’hui disparue «piratent une grue place du Capitole et y suspendent une araignée géante pour dénoncer la mainmise de la promotion immobilière sur l’aménagement de la ville». Chassée par les forces de l’ordre, la troupe se replie sur la Chapelle, dont les murs accueillent leur première lutte. Le squat est lancé, sous les yeux de l’archevêché de Toulouse, propriétaire des lieux.
«Les copains et copines de l’époque lancent les négociations pour l’occupation, mais l’archevêché met en cause la sécurité du bâtiment. Le toit menacerait de s’écrouler. Sauf qu’après vérification, il n’y avait rien de ce genre, poursuit Yann. La seule menace, c’était celle que l’occupation laissait planer sur leur opération de spéculation. Ils attendaient en réalité que les prix montent avant de revendre.» L’institution religieuse obtient une décision de justice ordonnant l’expulsion, mais cette dernière est cassée par le tribunal. L’huissier mandaté pour constater l’occupation avait produit un faux. Un premier miracle pour le squat, qui passe ainsi sa première crise.
Devenue base arrière de Planète en danger, la Chapelle est au cœur des mobilisations locales, notamment contre la reprise des essais nucléaires français décidée par Jacques Chirac en 1995. Mais la gestion du lieu et son occupation pompent de l’énergie. Une association est alors créée pour s’y consacrer pleinement : l’Atelier idéal. «Le choix de ce nom vient des manuscrits découverts sur place en 1993. Leur auteur, Jiri Volf, était un poète tchèque qui avait investi les lieux pour écrire. Il avait été retrouvé mort derrière l’autel quelques mois auparavant. Sur l’un de ses textes, il décrivait la Chapelle comme «l’atelier idéal».» Le squat trouve alors son identité : un lieu d’expérimentation politique, sociale et culturelle.
«Se retrouver et découvrir des propositions politiques et culturelles»
En 2004, elle accueille la première Amap de Midi-Pyrénées, à l’initiative d’un collectif de mangeurs. L’association autogérée se retrouve les lundis avec les producteurs, pour une distribution dans le joli jardin attenant à l’édifice religieux. Autour des paniers, les discussions traînent et une idée germe : et si on cuisinait les légumes ? Les «Relâches» sont lancées et, quelques mois plus tard, accueillent des dizaines puis des centaines de personnes allant du SDF en quête d’un plat chaud au CSP +, nombreux dans le quartier. «Pas de programmation, pas de planning, simplement l’idée de se retrouver et de découvrir les propositions politiques et culturelles du jour», se souvient Séverine, une ingénieure parmi les premières de l’Amap.
Pendant ce temps, les prix ont continué de grimper, et une nouvelle tentative d’expulsion pour cause de vente fleurit en 2006 avec le soutien de la mairie. Dix-huit mois de lutte plus tard, le projet porté par Habitat et Humanisme est abandonné. Rebelote en 2009, quand la vente des lieux se fait au cœur de l’été. Passée à gauche, la mairie préempte en catastrophe et devient propriétaire. Et après vingt-cinq ans d’«occupation illégale», un bail emphytéotique (c’est-à-dire de 18 à 99 ans) est finalement signé en 2018, avec une promesse de vente expirant début 2025.
N’ayant jamais bénéficié de subventions publiques, les principales associations utilisatrices des lieux ont ainsi lancé une campagne de financement pour devenir propriétaires. A la mi-novembre, la moitié des 150 000 euros requis avait été réunie. Au risque de passer pour bourgeois ? «C’est sûr que c’est pas le plus punk des squats, explique Adrien (1), intermittent, qui fréquente le lieu depuis dix ans. Mais c’est plus le problème. Ici, c’est la maison, c’est un repaire. On y a vécu des moments de joie, des moments de crise. Et il n’y a que là qu’on croise des personnes qu’on ne verrait nulle part ailleurs.» Astrid (1) et Emilie (1), bière pour l’une et thé pour l’autre, se souviennent : «Ça a construit ma politisation mais dans la bienveillance. C’est l’un des lieux alternatifs où l’on stresse le moins.» Et où on reste au chaud, dans les cœurs et dans les têtes, même l’hiver.
(1) Le prénom a été modifié.
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