Face au réchauffement climatique, aux arbres citoyens

Face au réchauffement climatique, aux arbres citoyens

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Rencontres, débats, concours photo… L’édition 2024 du forum «Naturellement !», organisé à Rouen par le collectif Biogée du 6 au 8 décembre 2024, aura pour thème «la forêt et l’humanité».

Des forêts à la santé de plus en plus chancelante. Partout en France, les bois brunissent ou craquellent, sous le poids des activités humaines. La crise climatique, avec son lot de canicules et de sécheresses, la multiplication des insectes ravageurs et l’industrialisation des pratiques sylvicoles mettent en péril les poumons verts hexagonaux et d’outre-mer. Si depuis deux siècles, la couverture forestière a progressé sur le territoire, passant de 10 millions d’hectares en 1908 à 25 millions aujourd’hui, ces dix dernières années, «la mortalité des arbres a grimpé de 80 %», rappelle le biologiste Marc-André Selosse. Autre phénomène inquiétant : leur capacité à stocker du carbone – fonction essentielle dans la lutte contre le réchauffement du globe – a considérablement diminué (1). Autant de sujets au cœur de la troisième édition des «journées du vivant et de la Terre» organisées par Biogée (dont Libération est partenaire) intitulée «La forêt et l’humanité» ce week-end à Rouen.

«Eviter les coupes rases»

Car l’humanité a toujours eu un «pied en forêt», mais avec des trajectoires culturelles variées. «En Occident, nous avons défriché pour l’agriculture, laissant la forêt sur les sols les plus pauvres comme source de bois et lieu de cueillette (fruits, champignons), de chasse et aujourd’hui de loisir. Ailleurs, elle a été utilisée comme telle : plus d’un cinquième de la forêt amazonienne a abrité, au premier millénaire, des civilisations qui l’ont transformée en grands jardins, mêlant cultures et forêts ouvertes aux espèces diversifiées», détaille Marc-André Selosse. Aujourd’hui, la consommation croissante des sociétés occidentalisées continue de détruire les forêts équatoriales, ici pour le palmier à huile, là pour la culture du soja destiné à nourrir les bovins, là encore pour le bois lui-même.»

Face à ces périls, chercheurs, associations et forestiers se mobilisent donc. Car de la prospérité des forêts dépendent la formation de rivières, la distribution des pluies, la régulation du climat, la bonne qualité de l’air et la survie de nombreuses espèces animales… dont les humains. Ici, la communauté scientifique a un premier rôle à jouer, les écosystèmes forestiers recélant encore de nombreux mystères. Difficile, par exemple, de prévoir comment les 136 essences d’arbres évolueront ces prochaines années. Ainsi, les chercheurs mettent les bouchées double pour comprendre comment préserver ces milieux sensibles, tout en maintenant une sylviculture pour le bois de chauffage et le bois d’œuvre (fabrication de meubles ou de bâtiments).

Dans un récent un rapport de l’Académie des sciences, ses auteurs préconisent «la sylviculture à couvert continu», une forme de gestion durable de la forêt ; l’adaptation des «peuplements aux conditions hydriques» ; l’augmentation «de la diversité des essences» (aujourd’hui plus de la moitié des forêts sont de grandes cultures monoessences) ; éviter «autant que possible les coupes rases dont les impacts écologiques et climatiques sont trop importants» ; et conserver les vieux arbres, «refuges pour la biodiversité». Pour engager ces transformations majeures, l’engagement de «la filière bois sera crucial», appuie l’étude. La sylviculture à couvert continu, ou la sylviculture irrégulière, c’est justement le mode de gestion douce que promeut et expérimente l’association de forestiers Pro Silva France. Le principe est de mélanger les essences, les tailles et les âges des arbres et de ne prélever que les arbres «mûrs». Puis, dans la mesure du possible, laisser en libre évolution une partie de la forêt exploitée.

«Un bois mélangé accueille plus de biodiversité, est plus résilient et se relève plus rapidement après des événements extrêmes», affirme son porte-parole, Antoine Cadoret, regrettant que seuls 10 à 15 % des bûcherons usent de ces techniques. Pour démocratiser ces méthodes, des citoyens rachètent des massifs forestiers un peu partout en France. Le fonds de dotation Forêts en vie, par exemple, acquiert des terrains boisés pour les louer à des associations développant des activités sylvicoles respectueuses du vivant. «Une plantation monoessence sur plusieurs hectares, c’est un désert vert, pas une forêt», dénonce Nathalie Naulet, coordinatrice du fonds. Problème, si la quasi-totalité des acteurs s’accordent sur la mauvaise santé des milieux forestiers, les coopératives forestières peinent à entamer la transition. «Pour elles, la sylviculture irrégulière n’est pas rentable d’un point de vue économique contrairement aux plantations monoessence», détaille Sylvain Delzon, directeur de recherche à l’Institut national de la recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement.

Selon lui, c’est aux pouvoirs publics d’aider les sylviculteurs à diversifier leur production. «Actuellement, ils peuvent décrocher des subventions lorsqu’ils replantent» des essences déjà présentes massivement sur le territoire, comme les pins maritimes dans les Landes, pointe le chercheur. Pis, la politique gouvernementale favorise les coupes rases, sous prétexte d’adapter les forêts au réchauffement, d’après l’association Canopée-Forêt vivantes.

«La diversité est la clé»

L’adaptation des forêts est pourtant un véritable enjeu. La Terre se réchauffe très rapidement et les arbres, à la croissante très lente, ne pourront suivre le rythme. Selon l’Office national des forêts (ONF), qui gère 11 millions d’hectares de forêts publiques, 50 % de la surface forestière devrait sortir de sa zone de confort climatique ces prochaines années. Face à ce constat, l’organisme a mis en place plusieurs stratégies. D’abord, favoriser les essences les plus résistantes au détriment des plus fragiles. Puis, dans le cas où aucune d’entre elles n’est adaptée, l’ONF a recours à la «migration assistée à courte distance». C’est-à-dire reboiser des espaces avec des essences poussant «là où règne le climat de demain», comme le sud de la France, mais aussi l’Espagne et les pays du Maghreb, explique Albert Maillet, directeur forêts et risques naturels à l’ONF.

En parallèle, la résilience des arbres est renforcée grâce à une nouvelle méthode : la forêt mosaïque. Son but ? «Combiner des espaces diversifiés, comme les prairies, les zones humides, ou encore des zones en régénération naturelle, de multiples essences d’arbres et différents modes de sylviculture, déroule Albert Maillet. La diversité est la clé.» Un pas qui va dans la bonne direction, juge Marc-André Selosse, qui estime toutefois que la sylviculture à couvert mélangé reste le meilleur espoir de la forêt et des sylviculteurs. C’est aussi l’avis de Nathalie Naulet : «On plante des arbres sans vraiment savoir si ce sont les bonnes espèces à planter. Observons plutôt et adaptons-nous à la forêt. Personne ne dit que toutes les forêts mélangées ne vont pas mourir, mais si on la laisse faire, la nature s’adaptera.» Un message que des collectifs de citoyens et de forestiers tentent de diffuser auprès des 3,3 millions de propriétaires détenant les trois-quarts de la forêt française.

Pour les soutenir dans leur transformation, l’Etat «pourrait instaurer une réduction d’impôts pour ceux qui s’engagent vers une gestion forestière plus durable», estime Stéphanie Thiébault, paléo-archéobotaniste au CNRS. Enfin, au-delà des défis nationaux et européens, il est aussi important de peser à l’international, rappelle Jérôme Chave, directeur adjoint du Centre de recherche sur la biodiversité et l’environnement à Toulouse : «Il ne faut pas oublier les enjeux globaux, notamment la lutte contre la déforestation [qui sévit au Brésil, en Indonésie et au Nigeria entre autres, ndlr].» C’est pour l’instant mal parti : mi-novembre, l’application du règlement contre la déforestation a été reportée d’un an sous l’impulsion de la droite conservatrice et l’extrême droite au Parlement européen. Conscient de ces dangers, Marc-André Selosse refuse pourtant le pessimisme. «Si on utilise notre savoir écologique pour la gérer, la forêt ne disparaîtra pas !»

(1) Entre 2014 et 2022, les forêts métropolitaines ont absorbé 39 millions de tonnes de CO₂ par an en moyenne, contre 63 millions sur la période 2005 – 2013 (chiffres de l’Institut national de l’information géographique et forestière).

Libération

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