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Les journées du vivant et de la Terre: interview
Ethnobotaniste et directrice de recherche à l’Institut de recherche pour le développement, Geneviève Michon dénonce le développement de l’industrie de la forêt, encouragé par une supposée «transition verte».
Rencontres, débats, concours photo… L’édition 2024 du forum «Naturellement !», organisé à Rouen par la fédération Biogée du 6 au 8 décembre 2024, aura pour thème «la forêt et l’humanité». Interview de Geneviève Michon, présente lors du forum.
L’homme est dépendant de la forêt, mais il la malmène. Si le paradoxe est séculaire, il s’accentue fortement aujourd’hui. Quelles nouvelles menaces pèsent sur les forêts ?
La foresterie industrielle est particulièrement préoccupante. Elle remonte aux années 60, mais elle est actuellement fortement encouragée par la supposée «transition énergétique» dans laquelle se sont engagés les Etats signataires des accords de Kyoto et de Paris. On applaudit des initiatives et plans divers tels que «trois milliards d’arbres d’ici 2030» (de l’UE) ou «un milliard d’ici 2030» (du gouvernement), alors qu’ils sont bien souvent au service d’intérêts industriels de court terme. Ce ne sont pas des forêts qui sont plantées, mais des exploitations de Douglas ou d’Epicéas d’une grande homogénéité génétique, sélectionnés pour leur croissance rapide. Nous sommes en train de faire subir à la forêt ce qu’on a fait à l’agriculture lors de la modernisation énergétique et chimique : la standardisation des essences, l’usage massif d’engrais, de fongicides et d’insecticides, le remembrement, la mécanisation à outrance avec des engins très lourds tassant les sols, etc. Nous adaptons la forêt à nos machines et à nos plans financiers.
Cette entreprise d’industrialisation de la forêt s’observe-t-elle sur toute la planète ?
C’est loin d’être une démarche exclusivement européenne : l’industrialisation de la taïga est plus récente mais massive ; la forêt indonésienne de plaine et l’Amazonie sont déjà plantées de palmiers à huile, d’acacias ou d’eucalyptus, l’Afrique est également concernée, pour l’heure dans une moindre mesure. Il y a un signe qui ne trompe pas : à l’échelle mondiale, la forêt est désormais le troisième poste d’investissement des grands groupes financiers, derrière les actifs financiers et la construction immobilière.
Que peut-on faire pour retrouver un lien à la forêt qui ne soit ni destructeur, ni idéalisé ?
Avant le déploiement de l’agriculture chimique, l’agroforesterie, qui consiste à cultiver en lien avec les arbres, dominait : le Maroc était un pays entièrement agroforestier, la France est restée en partie agroforestière jusque dans les années 40. Il faut aussi se rappeler qu’on peut se nourrir autrement qu’avec des céréales. Ces dernières s’accommodent mal de la forêt, et c’est leur culture qui a entraîné les premières coupes rases. Pendant des siècles, en France, le châtaigner a eu un grand rôle dans l’alimentation, jusqu’à ce qu’il soit considéré comme amoral de manger sans labeur, «sans labour».
L’arbre et la forêt étaient aussi jusqu’au XIXe siècle la principale ressource de nourriture de nos animaux domestiques, vaches, cochons etc. Je vois donc dans le retour à une forme d’agroforesterie une piste pour créer une relation à la forêt qui ne relève ni du culte mystique, ni du mépris du vivant. En France, en termes de surface, cette démarche est encore minoritaire, mais elle est en expansion continue, et bien plus présente dans les esprits qu’il y a trente ans. C’est encourageant.
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