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Affaire judiciaire
Depuis 2019, un conflit de garde d’enfant bouleverse la carrière de l’une des chanteuses africaines les plus populaires. Arrêtée en Italie en juin, elle a été extradée fin novembre à Bruxelles, où elle devrait être prochainement jugée.
Ecrouée à Haren, une section de Bruxelles, dans la prison la plus grande et la plus récente de Belgique (elle a été inaugurée en 2022), Rokia Traoré attend son procès qui pourrait s’ouvrir avant la fin de l’année. La star de la chanson malienne, 50 ans, a été extradée d’Italie le 29 novembre, sur demande de la justice belge. En octobre 2023, elle avait été condamnée en son absence à une peine de deux ans de détention pour séquestration et non-présentation d’enfant. A sa demande, elle va donc être rejugée, après avoir passé six mois derrière les barreaux, dans trois pays.
En 2019, alors que Rokia Traoré est une des artistes africaines les plus actives sur les scènes mondiales, à travers des spectacles de musique, de théâtre ou de danse, elle entre en conflit avec le dramaturge et directeur artistique belge Jan Goossens à propos de la garde de leur fille, née en 2015. Alors que le couple est séparé depuis un an, la mère accuse le père d’attouchements sexuels, allégations qui ont été classées sans suite. Uma, scolarisée depuis au Mali, a aujourd’hui 9 ans et demi, et Jan Goossens dit ne pas l’avoir vue ni n’avoir eu de contacts avec elle depuis bientôt six ans.
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Deux semaines à Fleury-Mérogis
La chanteuse avait déjà été arrêtée en mars 2020 à Paris en vertu d’un mandat d’arrêt européen lancé par la justice belge, qui lui reprochait le non-respect d’un accord sur la garde partagée de l’enfant. Elle avait notamment refusé de confier Uma à son père pour un mois de vacances d’été, invoquant une décision de la justice malienne qui lui accordait la garde exclusive.
Enfermée à Fleury-Mérogis (Essonne), en pleine pandémie du Covid-19, Rokia Traoré avait entamé une grève de la faim. L’économiste sénégalais Felwine Sarr avait pris sa défense en dénonçant un comportement colonialiste des juges de Bruxelles. Dans une tribune publiée par Libération, des célébrités (dont Annie Ernaux, Edgar Morin, Omar Sy et Lilian Thuram) demandaient sa libération, et Christiane Taubira l’assurait de son soutien.
Remise en liberté après deux semaines d’enfermement, avec interdiction de quitter la France, l’artiste s’était aussitôt envolée avec sa fille pour le Mali. Depuis Bamako, la jeune femme livrait sa version des faits sur les ondes de RFI : «La justice belge […] n’a pas été équitable, elle n’a pas été impartiale. Elle n’a vu que l’Africaine qui vit en Afrique, donc coûte que coûte, cet enfant, nous devons le ramener en Belgique. C’est cela le racisme.»
Portrait (2016)
Le repli sur son pays, pour éviter d’être arrêtée en passant les frontières, a interrompu la carrière internationale de Rokia Traoré, alors en pleine ascension, après deux disques réalisés par John Parish, le producteur de PJ Harvey, pour le prestigieux label américain Nonesuch, puis ses spectacles plébiscités sous la direction de l’Américain Peter Sellars. Elle se replie sur la Fondation Passerelle, qu’elle a édifiée et qu’elle finance à Bamako, à la fois club, studio de répétition et centre de formation aux métiers artistiques.
A Rome, le cauchemar recommence
Au printemps 2023, après quatre ans sans se produire hors du Mali, Rokia Traoré est programmée au Togo, puis visite l’Afrique du Sud. Elle pense pouvoir enfin reprendre les voyages. En juin 2024, elle est à l’affiche d’un festival à Rome, mais son concert n’aura jamais lieu. Dès qu’elle présente son passeport français à la douane, les voyants clignotent : le mandat d’arrêt européen émis par la Belgique est toujours en vigueur. Par une ironie cruelle, c’était le 21 juin, jour de la fête de la musique. Pendant cinq mois, ses avocats retardent l’échéance, mais le 20 novembre, la Cour de cassation a rejeté son dernier recours. L’extradition était inéluctable.
Selon son avocat belge Vincent Lurquin, la chanteuse souhaite «trouver un accord [avec la partie adverse] dans l’intérêt de l’enfant», afin d’éviter une nouvelle condamnation. «Elle restera en détention pendant la durée de ce second procès», a fait savoir un porte-parole du parquet. La principale difficulté du dossier consiste à organiser une garde alternée alors que les deux parents vivent dans des continents différents. Jan Goossens, 53 ans, souhaite «que sa fille passe ses vacances avec lui en Belgique, et qu’il y ait une responsabilité parentale partagée», a déclaré à l’AFP une autre avocate, et «n’insiste pas» pour que la résidence principale de l’enfant soit fixée à Bruxelles.
Rokia Traoré est aussi la mère d’un garçon né en 2006, dont le père est français. La garde de l’enfant après la séparation s’était déjà réglée au tribunal. Meurtrie, l’artiste confiait en 2016 à Libération : «Je me suis trouvée confrontée à des a priori sur ce que sont la vie d’une artiste et la vie en Afrique. Je me suis rendu compte qu’être femme, africaine et musicienne, c’est cumuler beaucoup de handicaps.»
Mis à jour le 07/12/2024 à 14h02 avec précision du classement sans suite des accusations d’attouchements
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