En Tunisie, le chercheur français Victor Dupont arrêté pour «atteinte à la sûreté de l’Etat»

En Tunisie, le chercheur français Victor Dupont arrêté pour «atteinte à la sûreté de l’Etat»

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La Tunisie après Ben Alidossier

Le doctorant français de 27 ans est en détention depuis le 19 octobre pour «atteinte à la sûreté de l’Etat». Ses travaux portent sur le parcours des révolutionnaires de 2011, et notamment leur appréciation de la politique du président actuel Kaïs Saïed.

Depuis treize nuits, le chercheur français Victor Dupont, 27 ans, et une amie franco-tunisienne dorment en prison. La justice militaire tunisienne accuse le premier d’«atteinte à la sûreté de l’Etat». Les motifs de l’arrestation de sa camarade ne sont pas connus. Samedi 19 octobre, le doctorant en sociologie s’apprête à passer un week-end avec trois amis quand des policiers en civil les interpellent à Tunis. Victor Dupont est plaqué au mur assez brutalement. Ils sont enfermés plusieurs heures dans des voitures banalisées au pied de l’appartement du jeune homme, avant qu’un juge d’instruction et la police scientifique n’arrivent sur place. Dans l’après-midi, ils sont interrogés au siège de la police judiciaire à El Gorjani. «On m’a demandé le nom de ma mère, quand j’étais arrivé en Tunisie et quand je repartais, mon programme et comment je connaissais Victor. C’est tout», raconte André (1), un des amis du chercheur.

Dans la soirée, seul le contractuel à l’Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans (Iremam) est placé en garde à vue. Ses amis contactent aussitôt l’ambassade de France à Tunis, qui leur conseille de trouver un avocat. Celui-ci leur apprend lundi 21 octobre que Victor Dupont a été déféré au tribunal militaire du Kef, une région rurale du nord-ouest de la Tunisie. Il s’agit de la juridiction militaire la plus proche de Jendouba, terrain d’étude du chercheur, où il retrace les parcours socioprofessionnels de nombreux révolutionnaires. Les travaux du jeune universitaire se faisaient en accord avec le ministère de l’Enseignement supérieur de Tunisie.

«C’est la fin de la recherche académique de terrain»

«C’est totalement exceptionnel qu’un jeune chercheur français puisse être déféré devant la justice militaire», a regretté à l’AFP Vincent Geisser, directeur de l’Iremam. «C’est un enlèvement d’Etat ! s’emporte un confrère qui connaît bien le pays, interrogé par Libération. Le travail de Victor consiste notamment à donner un éclairage sur la position de ces anciens révolutionnaires sur la politique menée par Kaïs Saïed [le président tunisien, accusé de dérive autoritaire par de nombreuses ONG, ndlr]. C’est la fin de la recherche académique de terrain en sociologie dans la région, c’est une perte de connaissance considérable. Au Sahel, c’est fini ; en Algérie et en Egypte, c’est très difficile. Il restait la Tunisie.» Les autorités tunisiennes n’ont pas voulu préciser les raisons de cette inculpation. Victor Dupont avait signé, à l’été 2023, une tribune dénonçant l’«escalade raciste» de la politique migratoire tunisienne, avec le soutien de l’Union européenne. Il a aussi écrit un long article, publié la même année dans le magazine Moyen-Orient, recensant les échecs de Kaïs Saïed à répondre aux désirs de justice sociale, d’emploi et de dignité des Tunisiens.

Devant le tribunal militaire du Kef, lundi 21 octobre, l’avocat conseille aux trois proches de Victor Dupont de rester dehors. Mais, au bout d’un moment, des policiers s’approchent et insistent pour qu’ils entrent : «Allez-y, l’avocat vous attend», se remémore André. A l’intérieur, ils patientent. Longtemps. André se rend aux toilettes. A son retour, l’amie franco-tunisienne n’est plus là. L’autre jeune femme, qui ne parle pas arabe, lui explique que des hommes sont venus et l’ont emmenée. L’avocat apparaît enfin. Très surpris de les voir, il leur demande de sortir immédiatement. Plusieurs heures passent dans cette atmosphère pesante et brumeuse pour les deux Français encore en liberté. Finalement, le juge d’instruction – le même qui a assisté à la perquisition à Tunis le samedi – les informe que leur interdiction de sortie de territoire est levée. «On a eu l’autorisation de dire au revoir rapidement à notre amie, mais on n’a pas revu Victor», raconte André.

Protection consulaire

Le jour même, l’ambassadrice Anne Guéguen reçoit les deux rescapés. L’ambassade n’a pas souhaité parler à Libération. Jeudi, le Quai d’Orsay, lors de son briefing hebdomadaire, a assuré «suivre de très près la situation» et que «le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et notre ambassade à Tunis sont en contact étroit avec les autorités tunisiennes à ce sujet». Le ministère affirme que Victor Dupont bénéficie également de la protection consulaire. Les proches du doctorant et l’ambassade de France ne souhaitaient pas communiquer sur le dossier, avant qu’un média ne décide finalement de divulguer l’information mercredi soir.

Depuis le 25 juillet 2021 et son auto-coup d’Etat, le président Kaïs Saïed s’est approprié les quasi pleins pouvoirs. Des dizaines d’opposants politiques et de la société civile sont en prison. Beaucoup sont poursuivis pour complot contre l’Etat et risquent la peine de mort. Le 6 octobre, le juriste de 66 ans a été réélu avec plus de 90 % des voix, mais avec seulement 28 % de participation. Lors de son serment d’investiture, le 21 octobre, le chef de l’Etat a dénoncé des complots extérieurs et intérieurs visant à «diviser le pays», évoquant «des plans élaborés et définis par des agents du sionisme mondial et des membres de la franc-maçonnerie».

(1) Le prénom a été modifié.

Libération

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